KAPITAL

Rémi Walbaum, pionnier du Web devenu boulanger

Après avoir fondé plusieurs start-ups dans les nouvelles technologies, Rémi Walbaum a opéré un virage total en créant la chaîne suisse Fleur de Pains. Rencontre.

Pourquoi une chaîne de boulangeries? «Parce que le pain est un produit magique, qui évoque les souvenirs et les odeurs de notre enfance.» Rien qu’à cette évocation, les yeux de Rémi Walbaum s’allument d’une gourmandise enfantine.

Après vingt ans passés à travailler dans les nouvelles technologies, cet alerte quinquagénaire a fondé la chaîne de boulangeries artisanales Fleur de Pains, en 2005. Un changement de cap radical pour cet entrepreneur connu jusqu’ici pour avoir créé plusieurs start-ups actives sur le Net, comme Usability Science, Axe Communication et LeShop.ch.

«Vendre des baguettes et des croissants, ce n’est pas exactement comme vendre des sites Web! Ici les clients nous félicitent régulièrement pour la qualité de nos produits, alors que, dans le commerce virtuel, la gratification était plutôt faible… Et, à 50 ans, j’avais envie de me faire plaisir, de retrouver une certaine authenticité.»

Depuis son lancement, Fleur de Pains multiplie les points de vente. Après Crissier, Bussigny et Lausanne, l’entreprise a implanté sa huitième boutique à La Croix-sur-Lutry en décembre dernier et compte désormais près de 120 employés. Les produits (pains, croissants, etc. ) sont fabriqués de manière artisanale à Crissier, puis amenés dans chaque point de vente, qui génère chacun un million de francs de chiffre d’affaires annuel en moyenne.

Pour Rémi Walbaum, deux raisons expliquent son succès dans un secteur très concurrentiel: l’accueil et la qualité. «J’ai misé sur ce que je considère important pour moi en tant que consommateur: de bons produits et un personnel souriant. Ainsi, je privilégie des ingrédients locaux comme le beurre qui vient de L’Etivaz, ou le jus de pomme qui est valaisan.»

Pour l’accueil, Rémi Walbaum s’est inspiré de son lieu de naissance: Casablanca. «Je n’ai passé que quelques années au Maroc, mais je reste viscéralement attaché à ce pays. L’accueil y reste pour moi exemplaire.» Rémi Walbaum n’a que 3 ans lorsque ses parents quittent le Maroc pour s’installer dans le nord de la France, à Maubeuge, où il passe son enfance.

Diplômé de la Reims Management School, il débute sa carrière professionnelle chez Cokin, une entreprise française spécialisée dans les filtres pour photographie. «Nous étions trois personnes chargées des ventes internationales. J’avais une valise et des billets d’avion pour tout bagage. J’ai traversé le monde entier, je crois que c’est la meilleure formation pour un jeune qui débute.» En 1989, cette carrière internationale bascule: «Lors d’un salon, j’ai découvert les premiers scanners photographiques. J’ai tout de suite compris que la numérisation allait s’imposer.»

Le jeune entrepreneur fonde alors sa première société, Axe Communication, à Nyon. «Au départ, je voulais monter une entreprise au Maroc, mais le manque d’infrastructures rendait mon projet impossible.» Détenteur de la double nationalité franco-suisse, Rémi Walbaum opte pour la Suisse, «parce que les bords du Léman sont un endroit magique».

Durant les quinze années suivantes, il lance, via Axe Communication, plusieurs projets innovants dans des multinationales telles que Novartis, Swisscom ou Dupont. C’est la réalisation pour Nestlé du projet de télévision interactive Easyshop qui lui inspire l’idée d’un supermarché en ligne. LeShop.ch, le premier Web supermarché suisse, voit le jour en 1997. A cette époque, Google n’existe pas encore, et seulement 7% de la population suisse utilise Internet. «Le démarrage de LeShop était vraiment quelque chose de fort. Nous avions beaucoup d’illusions», se souvient Alain Nicod, cofondateur de l’entreprise, aux côtés de Rémi Walbaum, Christan Wanner et Jesús Martin Garcia.

Mais, comme le concède aujourd’hui Rémi Walbaum, «c’était un peu trop tôt. Les gens n’étaient pas encore prêts à faire leurs courses en ligne». Après l’euphorie de la fin des années 1990, l’explosion de la bulle spéculative met fin à l’essor spectaculaire de la nouvelle économie en mars 2000 aux Etats-Unis, puis en Europe. Pour les entreprises créées par Rémi Walbaum, le coup est rude: LeShop frôle la mort en décembre 2002 et Axe Communication ferme ses portes en 2004.

«Mes échecs m’ont beaucoup appris. Lorsqu’un patron prend une gamelle, il gagne en lucidité. Jeune entrepreneur, j’avais tendance à tout faire moi-même. Avec le temps, j’ai appris à me concentrer sur mes seules tâches de PDG et à déléguer ce que je ne sais pas faire. »

Un précepte qu’il transmet aux jeunes lors des cours d’entrepreneuriat qu’il donne à l’Ecole hôtelière de Lausanne. «J’ai un plaisir fou à enseigner ce que j’ai – parfois durement – appris. Je partage désormais cette activité d’enseignement avec la gestion de Fleur de Pains. »

Dès la création de l’entreprise, en 2005, le patron avait en tête l’idée de mettre plusieurs boulangeries en réseau. «Début 2009, nous allons ouvrir notre neuvième boutique. Au total, j’estime que Lausanne peut accueillir une quinzaine de nos enseignes. L’objectif est de conquérir 20% du marché lausannois, à l’horizon 2010, contre environ 10% actuellement. » Au-delà, le patron n’exclut pas de partir à la conquête d’autres villes: «A terme, nous pourrions répliquer ce modèle à Genève ou ailleurs. Mais pour l’instant rien n’est prévu, nous nous consacrons à Lausanne.»

Ces prévisions de croissance ont de quoi étonner: selon les chiffres de l’Association des artisans boulangers-pâtissiers-confiseurs, une boulangerie sur cinq a disparu en Suisse, entre 2000 et 2006. «Il n’y a pas de contradictions, réplique Rémi Walbaum. Pourquoi ces boutiques ferment-elles? Pour faire tourner une boulangerie, il faut se lever au milieu de la nuit, servir toute la journée. Les jeunes générations n’acceptent plus un tel sacrifice. En mettant plusieurs boulangeries en réseau, j’offre des horaires de travail acceptables.»

L’idée n’est pas nouvelle. A Lausanne, les groupes Polli et Paul se partagent déjà le marché du pain aux côtés des boulangeries traditionnelles. «Je ne veux pas tuer les derniers boulangers, précise Rémi Walbaum. Mon combat est de récupérer des parts de marché à Migros, Coop, BP ou encore Shell, qui vendent du pain, alors qu’ils n’ont aucune légitimité pour le faire.»