«Apartamento» est-il le premier «magazine déco post-matérialiste», comme le New York Times semble le penser? Peut-être bien. A n’en pas douter, c’est une revue de design à part.
Nacho Alegre et Omar Sosa, deux Espagnols installés à Milan, ont lancé l’an dernier un magazine vraiment nouveau qui rompt avec le «formatage» esthétique auquel se livrent les revues de décoration sur papier glacé.
Ici, pas d’espaces mis en scènes, vides, morts, désertés par leurs occupants. Pas de portes de four ou de carrelages immaculés, pouvant faire office de miroirs, pas de livres alignés tels des soldats, pas de bouquets qu’un fleuriste vient de livrer, pas d’expositions de chaises Le Corbusier, Eames ou Jacobsen ni de lampes ceci ou cela.
Ce magazine, rédigé en anglais, se veut «an everyday life interiors magazine» et l’est effectivement. Les occupants des lieux dans lesquels il nous fait pénétrer n’ont pas mis d’ordre avant l’arrivée du photographe. On y découvre des commodes aux tiroirs ouverts laissant apparaître des habits mal rangés, des fils électriques très inesthétiques, des chaussettes à même le sol, des tables de nuit qui ressemblent à de vrais capharnaüms. Si l’habit fait le moine, l’habitat n’est-il pas le reflet de notre personnalité? Bref, on ne se sent pas dépaysé!
Estimant que sur le marché de la presse aucun support ne montre comment les gens vivent chez eux, les deux compères ont conçu Apartamento. «Nous ne voulons pas montrer des intérieurs bien rangés parce qu’ils n’existent pas en dehors de l’imagination de votre mère. Nous voulons montrer comment les gens arrangent leur appartement et les solutions qu’ils trouvent aux problèmes qui sont aussi les vôtres», expliquent-ils.
Le premier numéro tiré à 5’000 exemplaires, distribué dans de rares points de vente en Europe et au Japon, a très vite été épuisé. Le deuxième, diffusé également aux Etats-Unis, s’est arraché. Le New York Times n’a pas hésité à le décrire comme un «magazine post-matérialiste». Rien de moins.
Sa recette: proposer une identification possible entre le lecteur et les images qui défilent sous ses yeux. «Apartamento» se départit des magazines traditionnels aux espaces cliniques, fantasmés, hors réalité, certes pas désagréables à feuilleter pour faire passer le temps chez le dentiste ou le médecin, mais sans plus.
Si on ne fantasme pas forcément en parcourant les quelque 170 pages (dont une dizaine seulement occupées par de la pub) de papier mat, «écolo», on se laisse en revanche agréablement surprendre. Ainsi, on a l’impression d’être l’invité de personnages singuliers, tous de jeunes créateurs dans des registres très différents, tels Christopher Bollen ou Erol Alkan, avec lesquels on bavarde en toute décontraction. Tout juste si l’on ne sent pas l’odeur du café qui se prépare dans la cuisine.
On écarquille les yeux. Que fait ici, sur une pleine page, un philodendron, une plante complètement passée de mode? Omar et Nacho l’ont trouvé, abandonnée devant l’entrée d’un bâtiment. Ils l’ont chargée sur leur veille pick-up blanche et, non sans fierté, nous indiquent comment ils l’ont sauvée.
Beaucoup plus tendance, le jeune designer Max Lamb livre les secrets de construction de sa déjà célèbre chaise faite de lattes de bois toutes identiques. En Angleterre, le prix de revient est très exactement de 9,77 Livres. «Construisez-là vous-même, asseyez-vous et soyez-en fier!», nous invite Lamb. Volontiers!
«La nourriture constituant une partie importante de notre vie, nous avons réalisé que nous ne pouvions éviter d’en parler», lit-on en préambule à une délicieuse recette milanaise de «pure di ceci e gamberi».
«Apartamento» s’avère décidément très nourrissant. La réflexion au sujet de l’architecture et de l’éthique de l’habitat, les suggestions de lectures, l’immersion dans l’univers blanc de Terence Koh constituent autant d’autres plats savoureux de ce deuxième numéro.
Vivement le prochain!
