En ne signant pas la condamnation unilatérale d’Israël par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, la Suisse a sans doute préservé sa seule capacité d’intervention crédible dans un conflit inextricable: l’humanitaire et la médiation.
Donc, finalement, la Suisse s’est abstenue. Elle n’a pas voté la résolution du Conseil des droits de l’homme condamnant l’intervention militaire israélienne à Gaza. Peut-on penser qu’elle a bien fait?
S’il est, en tout cas, une situation où la fameuse et poussiéreuse neutralité helvétique (souvent et parfois à juste titre assimilée à une forme civilisée de cynisme, si pas de lâcheté) a un sens, c’est peut-être bien dans les ruines fumantes de Gaza. Peut-être bien à propos de ce conflit où chacun, même sans être concerné au moindre titre, possède une opinion tranchée, définitive, violente.
D’autant plus tranchée, définitive, violente qu’il est à peu près impossible d’ici, et quel que soit le camp choisi, de se mettre à la place de l’autre. Comment un Européen au ventre plein, vivant sans menace aucune sur son intégrité physique et sa liberté, pourrait-il comprendre le souci sécuritaire d’Israël, timbre poste cerné de voisins appelant ou rêvant depuis 60 ans à sa destruction pure et simple, et encore moins, en face, la catastrophe humanitaire que vivent les Palestiniens?
Avec en plus, comme le souligne l’éditorialiste du «Temps» Joëlle Kuntz, cette guerre qui n’en est pas une «mais plutôt un processus de guerre qui va de ruptures de trêves en cessez-le-feu, selon les humeurs politiciennes des uns et des autres, la plupart du temps hermétique pour nous.»
On pourrait aussi citer l’embarras de la médiatrice d’un journal comme «Le Monde», Véronique Maurus: «Comment passer sous silence les centaines de courriels contradictoires, mais tous virulents, qui inondent notre boîte depuis le début de l’attaque israélienne de Gaza le 27 décembre 2008? Mais comment les citer sans déclencher aussitôt une vague de protestations tout aussi véhémentes? La violence des messages reçus laisse à vrai dire peu d’espoir: le sujet est maudit.»
Dans ce contexte, Micheline Calmy-Rey et le département des affaires étrangères (DFAE) ne sont pas passés loin de la faute lourde. En faisant d’abord de la Suisse, la semaine dernière, le seul pays occidental à soutenir l’idée de cette réunion extraordinaire du Conseil des droits de l’homme à propos de Gaza, dont l’issue (la condamnation unilatérale d’Israël) était cousue de fil blanc, ou plutôt vert. Avec à la clef l’incompréhension furibarde de l’ambassadeur d’Israël en Suisse.
D’autant que cette prise de position, au côté des Etats les moins démocratiques de la planète, ne faisait que prolonger la ligne suivie depuis le début par Micheline Calmy-Rey: une sympathie militante et sentimentale pour la cause palestinienne.
Le printemps dernier déjà, la Suisse avait été le seul pays occidental à signer une motion anti-israélienne sans nuance, émanant de ce même Conseil des droits de l’homme, et passant sous silence les roquettes du Hamas. Même unilatéralisme d’ailleurs dans la motion adoptée ce lundi et qui fait porter à Israël la seule responsabilité du conflit.
Il est donc heureux que la Suisse, cette fois-ci, ne se soit pas mêlée aux pays arabes et aux blocs des pays africains et asiatiques pour incendier brutalement Israël. Elle y aurait probablement perdu l’essentiel de sa capacité d’action là où elle a toujours été, historiquement, la plus efficace: dans l’intervention humanitaire et la médiation, sans se préoccuper de la valeur des morts et blessés respectifs, sans préjuger de la légitimité des motivations des uns et des autres.
Quant aux ténors de la gauche (le patron des Verts suisses Ueli Leuenberger, le conseiller d’Etat Pierre-Yves Maillard, le conseiller national Carlo Sommaruga, la conseillère aux Etats Liliane Maury-Pasquier) qui ont cru bon de défiler à Genève ou Berne, au milieu d’antisémites notoires et sous les étendards mortifères du Hamas, ils n’ont fait là aussi que prolonger une vieille tradition. Celle de l’indignation partiale, sélective, qui les avait déjà vus, eux ou leurs aînés, pour mieux dénoncer à juste titre les dictatures d’Amérique latine, défiler sans vergogne sous les bannières sanglantes des faiseurs de goulags.
