Adolf Ogi sera le président de la Confédération de l’an 2000. Gérard Delaloye l’a entendu chanter la youtze devant les caméras et n’en revient encore pas.
Heu-reux!
J’étais heureux hier soir devant mon poste de télévision en voyant notre président de l’an 2000 pousser une youtze devant les caméras en compagnie de quelques amis oberlandais.
Heureux de voir que la Suisse atteint des sommets d’éternités que même l’Eternel dans sa sagesse et sa prescience aurait de la peine à imaginer.
Heureux en somme de constater que le média le plus important de mon pays m’en renvoie une image juste, celle idyllique et sauvageonne imaginée au XVIIIe siècle par Haller, Rousseau et leurs disciples zurichois.
Heureux d’être réconforté par le visage rubicond, affable, d’une gaieté porteuse d’innocence que cet Adolf-là ne saurait partager avec un autre Adolf, celui qui terrorisait notre si petite Suisse au moment où notre plaisant Adolf naquit dans de hautes montagnes solidement défendues par la formidable stratégie du Réduit national.
Heureux enfin de constater une fois de plus que dans notre pays peuplé de lutins, de gnomes et de revenants – au demeurant fort avenants! – la magie est toujours présente.
Merci admirable formule magique de m’annoncer une vieillesse sans souci! Depuis que je suis né à la politique, tu accompagnes chacun de mes pas de ta prévenance. Dès que tu me surprends à zigzaguer à droite ou à gauche, tu me rattrapes immédiatement par la manche pour me remettre dans le droit chemin du juste milieu.
Merci, ô formule magique, d’être notre ange gardien à nous autres Suisses depuis quarante ans! Cela fait tout de même un sacré bail que tu nous évites de devoir parler de politique, de nous étriper dans les rues, de nous crêper le chignon en famille comme le font nos voisins qui, eux, n’ont encore rien compris au vrai confort de l’existence, ce confort qui nous permet d’analyser en détail les problèmes des autres, puisque nous, – et c’est là qu’il n’y en a point comme nous – nous éliminons les problèmes dans une vaste et chaleureuse embrassade confédérale.
La preuve? Notre président pour l’an 2000 en est, avec son record de 191 voix, l’incarnation vivante. Il appartient à un parti qui vient de gagner les élections en misant sur la carte xénophobe mais personne ne le lui reproche. Et tout le monde vote pour lui, même s’il appartient à un parti dont le chef – il ne s’appelle pas Adolf mais Christof – ne craint pas de jouer avec l’antisémitisme, voire le révisionnisme. Avec de surcroît une propension au martyre: «Ah, vous ne voulez pas de moi? Vous l’aurez voulu!» Sous-entendu: personne ne me retiendra plus. Comme autrefois à Uri, où le berger qui sortait de l’anneau magique était capable de tout, parce qu’exclu de sa communauté.
Merci encore, ô formule magique, au nom des jeunes de ce pays qui ont si peu de soucis à se faire pour leur avenir, pour trouver un emploi, pour se payer un apprentissage ou des études, pour financer leur caisse-maladie ou leur AVS qu’ils n’ont même pas besoin de s’intéresser à la chose politique. Nos politiciens, membres fidèles de la corporation cooptée des magiciens, veillent à tout. Tout baigne. Tout roule. Tout dort.
Vive donc la formule narcotique!
