Préparé par une campagne médiatique sans précédent, le retour de l’UDC au gouvernement s’est déroulé comme espéré par ses dirigeants au matin du 10 décembre. Avec un bémol: la petite voix d’avance d’Ueli Maurer sur son concurrent prouve que la position de l’UDC sur l’échiquier politique est fragile.
Les dérives blochériennes ne sont pas encore oubliées par le reste des droites (radicales et démocrates-chrétiennes) et il faudra beaucoup de patience et de souplesse à Maurer pour rétablir la confiance et assurer une élection plus paisible du gouvernement dans trois ans.
La leçon importante de cette élection réside surtout dans la position paradoxale des autres forces politiques: les grands partis ne voulaient plus gouverner sans impliquer directement l’UDC dans la conduite du pays. Après un demi-siècle de concordance et de formule magique, personne ne veut d’un retour aux gouvernements de coalition qui contraindraient les partis à miser ouvertement sur la transparence en annonçant à l’avance les points incontournables de leurs programmes politiques. La concordance possède pour les partis cet avantage inestimable de servir de paravent à chacun, de cacher la réalité des intentions, de permettre de manœuvrer à vue.
Ainsi, à peine élu, Maurer a-t-il pu commencer son discours de remerciement en déclarant que son élection était «un oui à la concordance». Venant de la part d’un blochérien convaincu et obéissant, cet éloge de la concordance est des plus cocasses. Il signifie que le groupe dirigeant de l’UDC s’est rendu compte que la rage de Blocher après son expulsion du Conseil fédéral poussant le parti dans l’opposition avait été mauvaise conseillère.
Quel crédit porter aux protestations de bonne foi d’Ueli Maurer? Tout en maintenant une forte défiance, attendons de le voir à l’œuvre. Même si Blocher tentera, par son intermédiaire, de s’immiscer en permanence dans les débats gouvernementaux, nous serons rapidement fixés sur le poids de cette influence. Il ne faut pas oublier que le grief principal adressé naguère à Blocher par ses pairs était son manque de respect de la collégialité, en particulier sa propension à organiser des fuites hautement partisanes dans les médias. La lecture de la Weltwoche nous renseignera rapidement sur ce point.
Reste le fait qu’un nouveau terme, le souverainisme, est apparu dans le vocabulaire politique suisse mercredi matin. Je l’ai entendu dans la bouche de députés UDC de base qui, devant les caméras de la TSR, revendiquaient l’élection de Maurer pour que les souverainistes suisses aient un représentant au gouvernement et puissent ainsi résister à la pression « du droit international ».
Cette annexion d’une invention française (dont on a mesuré la capacité de nuisance lors du référendum) à un discours suisse est très habile, même si opposer souverainisme et droit international est absurde. Elle jette un peu plus le trouble dans les esprits en réunissant sous un même chapeau opposants de droite et de gauche à l’Union européenne. Elle va permettre dans les semaines qui viennent à l’UDC de mener campagne contre les accords bilatéraux sur la libre circulation des travailleurs en cherchant l’appui de la classe ouvrière. Elle écarte la connotation nationaliste d’un discours xénophobe.
De plus, la présence désirée d’un souverainiste au Conseil fédéral prend tout son poids lorsque l’on sait que l’heureux élu devra diriger le département de la Défense. La Suisse est encore, vingt ans après la fin de la guerre froide, le seul Etat d’Europe occidentale qui entretienne une armée qui, rapportée à population, est plus importante que l’armée russe et probablement aussi inefficace et aussi mal dirigée. C’est dire qu’il va falloir, avec la crise, tailler très fort dans les effectifs et les matériels.
Ueli Maurer est-il l’homme indiqué pour cette tâche? Certainement pas. Pour sauver l’idéologie réactionnaire de son parti et se justifier aux yeux d’un électorat nationaliste et rétrograde, il va faire son possible pour ne rien changer. En aura-t-il la force? Ce n’est pas sûr: les radicaux, Pascal Couchepin en particulier, se sentent des envies réformatrices. Il serait amusant que Couchepin, dont la verdeur ne se dément pas malgré l’âge, envoie le nouvel élu dans les cordes du département de l’Intérieur et prenne la tête de l’armée. Juste pour l’intégrer au «droit international» et la pousser un peu plus dans les bras de l’OTAN.
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