Les partenariats publics-privés ont le vent en poupe. Du centre commercial et sportif La Maladière (Neuchâtel) à la crèche de la Mobilière Vie (Nyon), en passant par le futur parking de Vennes, ce type d’alliances se multiplie en Suisse. Une aubaine pour la troisième voie CFF entre Renens et Allaman, que la Confédération n’a pas placée parmi ses priorités? L’hypothèse n’est pas à écarter. Le 14 octobre dernier, le Conseiller d’Etat vaudois François Marthaler, en charge du Département des infrastructures, avouait, sur les ondes de la Radio Suisse Romande, avoir reçu dans son bureau des investisseurs privés intéressés à financer ce tronçon via un partenariat public-privé (PPP).
De quoi s’agit-il? Plusieurs investisseurs privés financent et réalisent la construction d’un ouvrage public. En contrepartie, la collectivité s’engage à leur déléguer l’exploitation de ce service pour une longue période (en générale plus de 20 ans). Ce n’est donc pas une privatisation, puisque l’Etat garde la maîtrise des normes de qualité à respecter et récupère généralement l’entière propriété des constructions à l’échéance du contrat.
«Avantages: les PPP permettent de construire des infrastructures sans accroître l’endettement public et souvent de les réaliser beaucoup plus vite qu’avec des fonds étatiques ce qui, dans le cas de la troisième voie, serait précieux», explique Didier Burkhalter, Conseiller aux Etats neuchâtelois et grand défenseur de ce type de contrat. Pour les entreprises, ces partenariats ouvrent de nouveaux débouchés et permettent de s’assurer des revenus réguliers sur une longue durée (en générale plus de 20 ans).
«Dans le cas des parkings publics, par exemple, les PPP fonctionnent bien, dit Patrick Vallat, directeur du bureau de conseils en marchés publics et en management de projets (CCMP+). Les partenaires privés financent toute la construction, puis se remboursent grâce aux bénéfices réalisés lors de l’exploitation. A la fin du contrat, la collectivité récupère le parking.» Gagnant-gagnant? Le risque principal est qu’au final, l’usager paie le service au prix fort.
«Personnellement, je suis plus que jamais persuadé que c’est à l’Etat d’investir dans les infrastructures, en réalisant sans plus tarder la troisième voie, tempère François Marthaler. Mais je me suis promis d’étudier toutes les pistes possibles, afin que la troisième voie soit opérationnelle en 2018. C’est dans ce cadre que j’ai rencontré des investisseurs.»
En d’autres termes, pour le magistrat vert, c’est à la Confédération de payer la facture estimée à 400 millions de francs. Si les moyens manquent, elle peut emprunter. Si c’est encore non, un partenariat public-privé — impliquant la Confédération, les Cantons, les CFF et des entreprises privées — deviendrait alors une solution de choix pour lancer les travaux dès à présent.
«Dans les transports publics, où la Suisse demeure très en retard, il faut étudier la possibilité d’avoir recours aux PPP, pour éviter que les projets ne soient pas réalisés ou repoussés aux calendes grecques, martèle Didier Burkhalter. Grâce à ce type de partenariat, la troisième voie pourrait être réalisée vers 2020 au lieu de 2030.»
Reste à convaincre la Confédération, les CFF et l’Office fédéral des transports (OFT) de l’opportunité d’un tel partenariat. A l’OFT, on ne ferme aucune porte, sans toutefois les ouvrir complètement. La question est de savoir si les PPP conviennent vraiment aux infrastructures de transport, en particulier ferroviaires. D’un côté, les opposants le rebaptisent «Poudre de PerlimPinPin», suspectant un surcoût pour l’Etat.
«Dans le domaine des infrastructures lourdes, comme les réseaux électriques ou ferroviaires, je reste sceptique, dit l’ancien Conseiller aux Etats socialiste, Pierre Bonhôte. Sur le long terme, je pense que ce n’est pas rentable pour l’Etat d’avoir recours aux PPP.»
De l’autre, l’association PPP Schweiz se montre convaincue: «A l’étranger, des lignes de tram et de train ont été réalisées avec succès sur ce principe», souligne Claude Jeanrenaud, professeur à l’institut de recherches économiques de l’université de Neuchâtel et membre de PPP Schweiz. En Suisse, le projet TransRun, appelé à relier par une nouvelle voie souterraine Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds, pourrait être construit via un tel partenariat. «La Confédération doit se prononcer sur la question fin 2008 ou début 2009», souligne Didier Burkhalter.
Mais dans le cas de la troisième voie CFF, les paramètres sont légèrement différents. «Le PPP est viable uniquement pour des tronçons neufs et isolés, estime le conseiller national socialiste Roger Nordmann. Par exemple, dans le cas d’une autoroute, les usagers remboursent l’ouvrage grâce à un péage. Dans le cas d’une ligne de train nouvelle, le privé peut se rembourser en exploitant le trajet pendant un certain nombre d’années. Mais dans le cas de la troisième voie, il existe déjà deux voies à côté. Alors comment peut se faire le remboursement?»
Même chez les partisans du PPP, on souligne les difficultés d’un tel projet: «C’est un peu une sale histoire, sourit Claude Jeanrenaud. Dans les partenariats qui fonctionnent bien, un consortium privé assure le financement, la construction et l’exploitation pendant une certaine période, avant de rendre l’ouvrage au domaine public. Mais dans le cas de la troisième voie, l’exploitation resterait forcément entre les mains des CFF.»
Alors quelle forme pourrait prendre un partenariat pour la troisième voie? «Un consortium privé prendrait en charge le financement et la construction de l’ouvrage, en laissant l’exploitation aux CFF, répond Claude Jeanrenaud. Le remboursement se ferait via une location de la ligne sur une quarantaine d’années.» L’entreprise de construction Implenia ne serait pas contre l’idée: «Pour l’instant il n’y a rien de concret sur la table. Mais si un projet de partenariat public-privé se dessine pour la troisième voie, nous serions intéressés de nous y associer, révèle Christian Bubb, CEO d’Implenia. Nous pourrions construire ce tronçon, aussi bien pour le gros œuvre, que les rails et le réseau électrique.»
Une telle éventualité n’est pas impossible, mais sera difficile à réaliser. «Avec la construction, on touche à quelque chose de complexe, explique Patrick Vallat. Sur le tronçon Lausanne-Genève, les CFF sont sur leur territoire. Faire des travaux juste à côté va demander de déplacer des choses, d’obtenir des autorisations, etc. Alors rien n’empêcherait une entreprise privée de les réaliser, mais les CFF restent les mieux placés, ce qui rend le PPP moins intéressant.»
Du côté des Chemins de fer fédéraux, on s’en tient à la version officielle: «D’ici à 2020, une troisième voie est absolument nécessaire, tonne Jean-Philippe Schmidt, le porte parole des CFF. Mais, en ce qui concerne le mode de financement, c’est à la Confédération de trancher. Quant à la construction, nous en sommes pas encore là…»
Reste l’opportunité d’un partenariat public-privé uniquement pour le financement. «Dans ce cas, je ne vois vraiment plus l’intérêt, peste Roger Nordmann. La Confédération emprunte aux taux les plus bas. Passer par un partenaire privé va simplement augmenter la facture.»
Pas si simple, répondent les partisans d’un tel montage. «Si l’on prend en compte l’ensemble des paramètres, les PPP sont avantageux au niveau du coût, parce que les constructions se font dans de meilleurs délais, souligne Didier Brukhalter. En schématisant un peu, dans les montages traditionnels, personne n’a intérêt à finir vite. Les délais sont souvent dépassés, avec les coûts supplémentaires que cela engendre. Dans le cas des partenariats, c’est l’entreprise qui paye en cas de retard. Elle a tout intérêt à respecter les délais.»
Claude Jeanrenaud partage cet avis: «Prenez le tunnel du Gothard. La Confédération finance les travaux, mais aussi les éventuels problèmes techniques et dépassements de budget. Dans le cas d’un PPP, ces risques auraient été pris en charge par le partenaire privé. Alors oui, l’Etat dispose de taux d’emprunt très intéressants, mais un financement privé, avec ses taux plus hauts, couvre aussi les risques. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre!»
Malgré la crise, ou peut-être à cause d’elle, des banques ou des groupes financiers pourraient être intéressés par un PPP sur la troisième voie. «Trouver un investisseur ne sera pas la chose la plus complexe du projet, confirme Patrick Vallat. Il y a encore assez d’argent sur la place, notamment à l’étranger.»
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Une version de cet article est parue dans le magazine Bilan du 18 novembre 2008