LATITUDES

Feuilles mortes, la symphonie d’automne des souffleuses

Comme chaque année en novembre, les employés de la voirie envahissent l’espace public avec leurs souffleuses infernales. Même les particuliers s’y mettent. Mais au fond, à quoi bon éliminer les feuilles mortes?

«Les feuilles mortes se ramassent à la pelle. Tu vois, je n’ai pas oublié…» Vraiment?

Après les employés de la voirie, ce sont aujourd’hui les entreprises de jardinage et même les particuliers qui s’équipent d’engins pétaradants pour ramasser les feuilles mortes. Le progrès ne veut-il pas que les efforts humains soient délégués aux machines?

Les souffleuses et autres aspireuses-broyeuses ont envahi les rues. Avant leur arrivée, l’automne allait de pair avec le retour au calme, la fin de l’infernale symphonie estivale des tondeuses à gazon. On a changé d’époque. Les moteurs succèdent aux moteurs.

Les balayeurs d’antan sont toujours là, mais sous la forme de silhouettes peintes sur les modèles d’éliminateurs de feuilles parmi les plus répandus en Suisse, les MFH 2500 d’une entreprise de Berthoud. Un petit clin d’oeil nostalgique à une époque révolue.

Evolution inévitable? Pas forcément. Aux Etats-Unis, au moins vingt municipalités ont déjà interdit l’utilisation de telles souffleuses.

Ici, seules quelques communes pauvres ou résolument écolos évacuent les feuilles à la force du biceps. La plupart des employés de la voirie sont devenus des techniciens de surfaces. «Finies les corvées pénibles et fastidieuses. Grâce à la souffleuse à feuilles, nettoyer les pelouses et les allées se fait en un clin d’oeil», affirment les fabricants qui omettent de mentionner que ces engins sont bruyants, puent et contribuent à l’épidémie d’obésité.

Sur la voie publique, on comprend le souci d’éviter aux passants de glisser sur des feuilles humides. Mais ailleurs, pourquoi les éliminer comme des déchets toxiques? Un tas de feuilles ne gêne personne. Il constitue même un abri bienvenu pour les petits animaux avant de se décomposer naturellement.

«Laissez les feuilles là où elles sont tombées!» C’est Monsieur Jardinier qui donnait dimanche dernier ce sage conseil lors d’une l’émission à la Radio suisse romande. Avec quelques exceptions cependant, quand il s’agit de feuilles de noyers et de rosiers malades. Puisse-t-il avoir été entendu!

Quant à aux jardiniers souffleurs-aspirateurs qui n’étaient pas à l’écoute ce matin-là, il se pourrait que, fourbus, une fois leurs torrents de décibels tus, ils se lancent dans la lecture d’un ouvrage zen (on n’est pas à un paradoxe près) et découvrent: l’éloge du balai.

«Le balai nous relie au sol. Il est l’équivalent du bâton du pèlerin sur lequel s’appuie le vieux moine, du piolet aidant le montagnard dans son ascension.» Pour Gary Thorp, auteur du «Zen des petits riens» (éditions Anne Carrière), balayer est un geste universel à la beauté incomparable.

Après l’automne vienne l’hiver et ses machines de déneigement tellement plus efficaces que les pelles à neige…