TECHNOPHILE

Un implant rétinien pour rendre la vue

Grâce à des microélectrodes fixées sur la rétine, des aveugles ont recouvré une partie de leur vision. Cette technologie pourrait bientôt restaurer des capacités de lecture et d’orientation autonomes.

Rendre la vue aux aveugles… L’idée ne relève plus du miracle divin. Aujourd’hui, grâce à une technologie en cours d’expérimentation, qui passe par l’implantation d’un assemblage de microélectrodes sur la rétine, des personnes atteintes de cécité peuvent retrouver une partie de leur vision.

A travers le monde, une vingtaine de volontaires souffrant de maladies hérédodégénératives de la rétine (comme la rétinite pigmentaire) profitent déjà de cette technologie expérimentale.

«Les patients opérés parviennent à repérer des objets blancs sur fond noir — et inversement — ou encore à suivre des sources lumineuses», se félicite Grégoire Cosendai, directeur général pour l’Europe de la société américaine Second Sight, leader en matière d’implants rétiniens.

Associés à cette aventure, l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et le Service d’ophtalmologie des Hôpitaux universitaires genevois (HUG) collaborent étroitement avec le laboratoire américain. C’est du reste à Genève dans le Service d’ophtalmologie des HUG que s’est déroulée le 11 février 2008 la première opération du genre en Europe, avec mise en service de l’implant au domicile du patient.

«La personne implantée (âgée d’environ 60 ans, ndlr) se porte bien; elle vit seule, souligne Joël Salzmann, le chirurgien qui a dirigé l’intervention. Les résultats obtenus s’avèrent très encourageants.» On imagine quelle sensation merveilleuse les malades peuvent éprouver en récupérant une partie de leur vision. Mais comment expliquer un tel prodige, alors que les candidats opérés avaient complètement perdu a vue?

Pour bien comprendre, il faut se rappeler le fonctionnement d’un œil sain: la vue naît de la faculté qu’ont les cellules photosensibles de la rétine, les photorécepteurs (bâtonnets et cônes), de transformer la lumière en courant électrique que le cerveau va interpréter.

Dans les cas de dégénérescence rétinienne, ces cellules photosensibles dépérissent et meurent. Mais d’autres cellules rétiniennes impliquées dans le processus de la vision, notamment les cellules ganglionnaires restent intactes et fonctionnelles chez les personnes atteintes de rétinite pigmentaire ou de dégénérescence maculaire, et permettent en principe de maintenir une connexion active avec le cerveau via le nerf optique.

La possibilité existe de stimuler ces cellules ganglionnaires avec des microélectrodes pour recréer artificiellement le fonctionnement d’un œil sain.

La seule pose d’électrodes ne suffit évidemment pas à rendre la vue aux personnes atteintes de cécité. En amont, un équipement complexe est nécessaire pour l’acquisition et le traitement des images.

D’abord, une mini-caméra externe (montée sur une paire de lunettes factices) capte les images. Elles sont aussitôt envoyées à un ordinateur — pas plus gros qu’un vieux Walkman — que le patient porte à la ceinture. L’ordinateur traite et simplifie les images en ajustant certains paramètres tels que le contraste.

Les images travaillées sont renvoyées vers un transmetteur, logé dans une branche des lunettes, puis transmises par radiofréquence à un petit boîtier suturé sur le globe oculaire du patient.

Le boîtier transforme les informations en impulsions électriques, qui transitent par liaison filaire jusqu’au faisceau d’électrodes fixé sur la rétine. Les impulsions électriques émises par les électrodes stimulent les cellules ganglionnaires, et, de là, le nerf optique et les aires visuelles du cerveau. Le processus s’effectue en temps réel, à 30 images seconde, avec un décalage quasi imperceptible pour le patient.

«L’opération de Genève a duré plus de trois heures, relève Joël Salzmann. Nous avons procédé à des tests de stimulation durant l’intervention pour vérifier que les électrodes n’avaient pas été endommagées au cours de la chirurgie.»

L’opération n’a engendré aucun rejet, les matériaux implantés étant certifiés biocompatibles. Après l’intervention chirurgicale, une phase d’adaptation de plusieurs mois est néanmoins nécessaire.

«La vision ne revient pas d’un coup, précise Grégoire Cosendai, le cerveau doit d’abord apprendre à décoder et interpréter les motifs visuels engendrés par les stimulations électriques. En fonction du feedback donné par le patient, il nous est possible d’ajuster les réglages du processeur.»

Pour les personnes aveugles de naissance, il n’existe en revanche aucune solution de ce type. «La rétine doit impérativement être fonctionnelle», explique Philippe Renaud, du laboratoire de microsystèmes de l’EPFL.

A ce stade, le rendu reste très grossier. Les améliorations futures passent, entre autres, par une augmentation sensible du nombre d’électrodes. D’après les résultats de simulations menées à Genève par les professeurs Avinoam Safran et Marco Pelizzone, le nombre minimal de stimuli pour qu’un patient puisse lire un texte s’élèverait en effet à 600 électrodes (contre 60 aujourd’hui), soit 600 points de stimulation, ou l’équivalent d’une image de 25 x 25 pixels.

Quant à la reconnaissance des visages, elle exigerait au moins 1’000 points de stimulation. Les spécialistes estiment que de telles prothèses pourraient voir le jour d’ici à cinq ans environ. Mais rien n’est aussi simple: même en augmentant le nombre d’électrodes, il n’est pas encore garanti que les résultats suivent.

Explication de Philippe Renaud, de l’EPFL: «Impossible de brancher les microélectrodes directement sur les neurones, sous peine de les détruire. Actuellement, la stimulation électrique des corps cellulaires fonctionne par effet de proximité, les neurones proches des électrodes étant dépolarisés. Autrement dit, nous ne parvenons pas à adresser spécifiquement chaque cellule. Cette limitation a une conséquence fâcheuse: l’augmentation du nombre d’électrodes n’implique pas forcément une meilleure résolution.»

Pédagogue, le physicien livre une comparaison pour le moins éclairante: «Prenez 100 micro-ampoules et installez-les sur une barre, allumées en rang d’oignons très près d’un mur. Faites la même expérience en plaçant cette fois 1000 ampoules sur la barre: le nombre de points (ou plutôt de petits halos) visibles sur le mur sera multiplié par dix. Mais si vous reculez la barre de quelques centimètres, l’ajout des 900 ampoules supplémentaires n’a plus aucune incidence sur la résolution finale, la lumière devenant diffuse. Il se pose un problème analogue avec les microélectrodes supplémentaires. Des incertitudes demeurent.»

«Les principes de l’interaction entre l’implant et la rétine restent mal connus, admet Grégoire Cosendai, chez Second Sight. Mais suite aux nombreuses opérations chirurgicales effectuées, nous sommes en train de récolter des données très utiles. Les expériences vont se poursuivre. Disons que nous avons déjà construit la première fusée.»

Première européenne à Genève En matière d’implants rétiniens, la toute première tentative, effectuée à Boston à titre expérimental, remonte à la fin des années 1980. Actuellement, différentes équipes travaillent au développement de ces technologies en tablant sur de futurs débouchés commerciaux.

La société américaine Second Sight apparaît la plus avancée en termes d’expertise médicale (nombre de patients implantés avec système activé à domicile). L’entreprise germano-suisse Intelligent medical implants (IMI), basée à Bonn et à Zoug, fait également parler d’elle.

Le plus récent prototype d’implant, baptisé Argus II est doté de 60 électrodes. Ce modèle a été implanté l’hiver dernier à Genève, en première européenne, sous l’égide de Second Sight. A l’heure actuelle, seules 17 personnes dans le monde en bénéficient. Hormis Genève, les interventions chirurgicales se sont déroulées à Paris, à Londres, au Mexique et aux Etats-Unis, dans les divers centres cliniques qui participent au projet.

Le modèle Argus I (16 électrodes) de Second Sight, implanté à six reprises aux Etats-Unis entre 2002 et 2004, avait permis de préparer le terrain. La technologie a progressé depuis. Avec le nouveau modèle, le boîtier interne est logé à côté de l’œil plutôt qu’au niveau de la tempe, ce qui simplifie nettement l’intervention chirurgicale. Mais surtout, le plus grand nombre d’électrodes (60 contre 16) offre en principe de meilleures potentialités au patient.

——-
Une version de cet article est parue dans la sixième édition du magazine Reflex réalisé par Largeur.com