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Samuel Schmid vaincu par son incompétence

Avec lui, une espèce particulière de politiciens, celle des magistrats, quitte la scène. Mais l’avenir de l’armée suisse ne s’annonce pas lumineux pour autant.

Le départ de Samuel Schmid marque probablement la disparition d’une espèce d’hommes politiques typiquement suisses, celle des «magistrats». Ces hommes qui, autrefois, adoraient parader lors des manifestations officielles en habit de cérémonie et chapeau noir afin d’affirmer leur rondeur de notables parvenus.

Imbus d’un naturel feint, ils inspiraient un respect, une considération, une déférence tels qu’il eût paru incongru à quiconque de les questionner sur leur action ou d’exiger la présentation d’un bilan. La confiance allait de soi, elle participait d’un système social dont la hiérarchisation fondée sur le mutisme des petites gens avait valeur de consensus.

Ces notables de campagne n’avaient pas la morgue innée du bourgeois des villes, ni son entregent dans le traitement des affaires, mais ils savaient accaparer en douceur, intriguer avec discrétion, avancer avec ténacité. Et sombrer dans un désespoir quasi enfantin quand l’échec stoppait net la progression d’une carrière.

Les sanglots contenus de Samuel Schmid annonçant sa démission en cette matinée du 12 novembre m’ont paru signifier à la fois le désarroi d’un honnête homme dépassé par le fardeau de ses fonctions et la condamnation inexorable de la «magistrature» comme forme de domination politique. Place est faite désormais aux managers sans âme, aux requins des plans de carrière, aux arrivistes postmodernes.

Car la tâche qui attend son successeur s’annonce particulièrement difficile. Notre armée est encore beaucoup trop imposante pour les objectifs qu’elle doit remplir. (Des objectifs par ailleurs si flous qu’ils fluctuent entre des tâches policières, de défense civile, de secours en cas de catastrophes ou de pompiers.) Les partis bourgeois ont beau se fermer les yeux par crainte d’affronter la réalité, mais les impératifs économiques finiront par venir à bout des plus réticents.

Si l’on se place du côté des militaristes purs et durs, la seule décision à prendre est d’intégrer de toute urgence l’OTAN, de négocier avec elle un budget et une répartition des tâches et des compétences. Ce qui exigerait bien sûr de cesser de courir après des chimères et de prendre acte que la neutralité telle qu’elle est brandie par les prétendus fils de Guillaume Tell n’est qu’une fiction. Comme il y a de fortes chances que le prochain chef du DDPS soit issu de l’UDC, nous n’assisterons pas dans l’immédiat à une telle remise en cause de la tradition.

Pour la gauche socialiste, l’indispensable redimensionnement de l’armée se heurte en cette période de crise où le chômage va monter très fort à court terme à la difficulté de supprimer des milliers de postes de travail dans l’administration militaire. De même, le redimensionnement des appétits militaro-industriels en matière d’avions et de blindés induirait de lourdes pertes pour les entreprises sous-traitantes.

C’est dire que par la force des choses et le poids de la suissitude politique, nous allons nous retrouver avec un patron de l’armée contraint de naviguer à vue en rognant quelques millions ici ou là pour manifester son sens de l’économie et clamant sa volonté novatrice tout en freinant des quatre fers. Faute d’avoir saisi avec vigueur l’opportunité offerte par ces dernières années de boom économique pour réformer en profondeur un instrument militaire suranné et inadéquat, les responsables militaires (qui ne pensent même plus stratégie depuis longtemps!) se retrouvent dans la panade. Sans que l’on voie se dessiner la moindre issue pour que cette machine à broyer les millions cesse de tourner à vide.