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Gardez vos billes, très cher Monsieur Ospel

Trop tard, chère Eveline. Oui, trop tard pour s’étouffer devant les bonus faramineux encaissés par les branquignols de l’UBS. Trop tard pour maudire le sieur Ospel et exiger qu’il rende ses millions, et ses balles de golf avec, tant qu’on y est.

Notons que pour une fois la presse de boulevard et la classe politique sont sur une même longueur d’ondes, ce qui est flatteur pour la première et nettement moins pour la seconde: feu donc sur l’UBS, feu sur la finance, feu sur le capital et la bourse. Federer en personne est emporté par cette tempête au motif qu’il a choisi la même planque fiscale qu’Ospel, la sympathique bourgade schwytzoise de Wollerau contre laquelle ne retentit désormais plus qu’un cri unanime: aux voleurs!

Longtemps pourtant, jusqu’à l’explosion fatale, à cette orgueuilleuse UBS réduite soudain à tendre la sébile, ce genre d’anathèmes contre les salaires des grands patrons, contre les bulles spéculatives, contre les risques insensés pris par les marquis de la finance, ont été présentés par la droite ultra majoritaire dans ce pays comme ratiocinations d’archéo-marxistes.

Oui, il est donc un peu tard pour cette même droite de s’indigner quand la partie est jouée et c’est même se montrer plutôt mauvais perdant que de changer les règles en cours de match. Surtout quand on les a bruyamment approuvées et défendues, ces règles. Gouverner, ce n’est peut-être pas toujours prévoir, mais sûrement jamais hurler avec les moutons, fussent-ils tondus ras. Gardez donc vos billes, Monsieur Ospel: cochon qui s’en dédit.

Le fait que les cris de réprobation contre l’UBS monte aussi bien du Blick ou du Matin que de la quasi-totalité du microcosme politique montrent qu’entre cette presse- là et ces hommes politiques- là il y a au moins un point très commun: un sens crasse de la démagogie, de l’indignation facile qui peut rapporter gros. Egorger un bouc émissaire en place publique n’a jamais demandé un excès particulier de courage.

Si les tabloïds et le café du commerce sont dans leurs rôles d’indignés professionnels, l’attitude des politiques en revanche apparaît d’autant plus détestable que dès qu’il a fallu passer à l’action, nettoyer concrètement les écuries d’Augias, ils se sont fait soudain tout petits, sont retombés dans le même aveuglement: confiance totale à l’UBS, on signe les yeux fermés un plan de sauvetage que les banquiers eux-mêmes ont concocté et qui présentent, à priori, tous les avantages pour eux, laissant l’essentiel des inconvénients à la Confédération.

Notons pour une fois la cohérence du PS et de ses Zorro fribourgeois Levrat et Berset. Leur plan de sauvetage, qui prévoyait que l’Etat prenne également des participations dans la banque, s’est vu aussitôt rejeté avec des grimaces hautaines par la droite. Fulvio Pelli le patron des radicaux explique par exemple doctement que «chacun son métier»: la Confédération n’étant pas banquière devrait se contenter de cracher au bassinet, racheter des actions pourries jusqu’à l’os, bref investir à pertes. Les mêmes qui s’indignaient des cachetons ospéliques se remontrent indécrottablement fascinés par les rois du black jack financiers qui, eux, savent, et qu’il faudrait laisser travailler en paix après leur avoir renfloué les poches.

Face à cette idée de participation, qui ressemble bien à une nationalisation, les vertueux banquiers lèvent les bras au ciel et expliquent que cela ne donnerait aucun pouvoir de décision ou presque à l’Etat actionnaire, et que cela donc ne sert à pas grand-chose. Ce n’est sans doute pas faux. Sauf que c’est bien cette voie qu’ont choisi les Etats-Unis et l’Union européenne, pour une raison qu’un enfant comprendrait et que l’économiste Cédric Tille résume ainsi: «L’Etat, en plus des titres bancaires incertains, achète aussi des participations dans les banques de manière à récupérer quelque chose dans tous les cas: comme investisseur ou comme actionnaire.»

Quant à l’argument qu’il faille laisser les professionnels s’occuper des affaires bancaires, on pourrait soupçonner, au vu des résultats, que des amateurs, malgré la meilleure volonté et la plus appliquée maladresse du monde, ne seraient probablement pas arrivés à faire pire.