- Largeur.com - https://largeur.com -

Monter son entreprise pendant ses études

Rares sont les jeunes Suisses qui profitent de leurs études pour créer leur propre entreprise: selon une étude réalisée par l’Université de Saint-Gall en 2006, ils ne constituent que 2,4% de la population estudiantine, ce qui place le pays nettement en dessous de la moyenne internationale (3,2%). Il y a pourtant des avantages à conjuguer les statuts d’étudiant et d’entrepreneur: une certaine liberté de mouvement due à l’absence de charges familiales et professionnelles, de même que l’occasion de multiplier les contacts par le biais des études.

Malgré tout, les diplômés continuent de s’orienter majoritairement vers le statut de salarié, jugé plus confortable. «Ceux qui se lancent dans la voie de l’entrepreneuriat apparaissent comme des supermen aux yeux des autres étudiants», souligne Corinne Desjacques, chargée d’enseignement à la Haute Ecole de gestion de Genève. Démystifier un monde perçu comme l’apanage de surdoués et fournir un bagage pour minimiser les erreurs: tel est donc l’objectif des programmes d’aide à la création d’entreprise. De fait, depuis une quinzaine d’années, les formations ciblées se multiplient dans les écoles et les universités suisses, vivier de jeunes talents. «Tout le monde ne peut pas devenir un chef d’entreprise, remarque Jordi Montserrat, directeur de venturelab, un programme national de l’agence pour la promotion et l’innovation (CTI). Mais certains étudiants, qui ne le soupçonnent même pas, se révèlent être d’excellents entrepreneurs.»

Il n’existe pas de profil standard. Du petit artisan au chef d’entreprise qui dirige une société high-tech, des dizaines de variantes existent. Et les raisons qui poussent à entreprendre sont nombreuses: un déclic, une passion ou l’identification d’un marché porteur sont autant de facteurs qui incitent à se jeter à l’eau. Deux qualités pour toute personne candidate à la création d’entreprise semblent néanmoins requises: la patience et le sens du sacrifice. De l’idée innovante à la mise sur le marché en passant par la réalisation du premier prototype dans certains cas, des mois s’écoulent. «Pendant plusieurs semaines, je voyageais en première classe, mangeais dans les meilleurs restaurants avec les investisseurs, et, le soir, je rentrais dormir sur le canapé d’un ami qui m’hébergeait gratuitement», raconte Ralph Rimet, patron de Secu4, une start-up active dans la sécurité high-tech. Par ailleurs, outre le manque d’expérience et l’absence de réseau, il faut parfois gérer les coups durs et apprendre à rebondir. «Au mois de janvier de cette année, il ne me restait plus que quarante francs sur mon compte en banque, poursuit Ralph Rimet. Les investisseurs qui nous suivaient depuis septembre se sont rétractés au dernier moment. La période a été difficile pour toute l’équipe, mais nous sommes repartis de plus belle.»

Planifier les dépenses, étudier la faisabilité du marché, démarcher les clients… Le quotidien des étudiants-entrepreneurs est des plus accaparant: la charge de travai l professionnel s’ajoute à la vie estudiantine. Entre coups de fil et prise de rendez-vous, les examens ne sont jamais très loin. «Quoi qu’il en soit, ces jeunes sont à un moment propice de leur vie», note Corinne Desjacques. Même avis du côté d’Alexis Moeckli, président de l’association Junior Entreprise de Genève: «Concilier les cours et la création d’une entreprise permet de minimiser la prise de risque», dit-il. Au-delà de cette approche pragmatique, l’investissement personnel est très important: l’essentiel consiste à toujours croire en ce que l’on fait et rester motivé. Car, en fin de course, même si le projet ne voit pas le jour ou que l’entreprise fait faillite, l’expérience est toujours bénéfique. «Il ne faut pas craindre pour son CV, souligne Corinne Desjacques. S’être lancé dans l’aventure la création d’entreprise révèle des qualités humaines, d’organisation et de gestion qui sont de toute façon valorisantes.»

Par quoi commencer? «On ne sait pas sur quelle ficelle tirer pour dérouler la pelote.» La remarque de Ralph est symptomatique des difficultés rencontrées par la plupart des jeunes entrepreneurs en début de carrière. Tout d’abord, sans idée innovante, un projet n’a pas de raison d’être. Parfois, le concept mérite d’être repensé, confronté à l’intelligence d’autrui, voire même abandonné pour gagner en pertinence. Un projet innovant est évidemment nécessaire, bien que cela reste insuffisant. Le véritable point de départ de toute création d’entreprise se situe ailleurs: «Le moteur de toute l’aventure, c’est le besoin du marché», confirme Corinne Desjacques.

Une étude doit être menée pour s’assurer des opportunités commerciales et stratégiques. Pour ce faire, les méthodes et les moyens fluctuent. Le business plan (ou plan de développement) compte généralement entre dix et trente pages. Il présente le projet dans sa globalité: les éléments clés, les obstacles, les solutions recherchées, les partenaires potentiels et les ressources. Il sert essentiellement à mettre ses idées par écrit. L’autre solution, proposée par Raphaël Cohen, directeur du diplôme d’entrepreneuriat et business development à HEC Genève, consiste à diviser la démarche: dans un premier temps analyser le pourquoi (dossier d’opportunité) et dans un second temps expliquer la mise en œuvre (le plan d’action).

Mais, dans un cas comme dans l’autre, une perception claire du marché reste une condition sine qua non. Comment choisir sa formation d’entrepreneuriat? Difficile de se retrouver dans cette jungle de formations, d’écoles et d’institutions privées ou publiques. En Suisse, plus de 170 organismes d’aide à la création d’entreprise existent. Et, malheureusement, aucune plateforme de recherche ne recense l’ensemble de ces programmes, même de manière succincte. Venturelab. présente uniquement les initiatives du programme fédéral, qui ne se focalise que sur les projets technologiques. Néanmoins, l’objectif est souvent identique: développer les compétences des futurs patrons en leur fournissant un savoir et un savoir-faire.

Fiscalité, gestion du personnel, communication, aspects juridiques et administratifs: un entrepreneur doit être capable de maîtriser toutes les facettes de la vie d’une société. Pour se repérer dans cet éventail de programmes, il est recommandé de se renseigner en priorité auprès des acteurs qui composent l’environnement propre de l’étudiant/entrepreneur: associations de juniors, entreprises, universités, écoles, promotions économiques du canton… Il faut également veiller à bien cibler ses objectifs et à identifier le profil de l’entreprise: la biotechnologie, le high-tech et l’informatique d’un côté; l’innovation commerciale et de services de l’autre. Suivant l’activité ou le niveau d’études, le programme d’aide fluctue. Ainsi le «venture challenge», l’un des modules du programme venturelab, s’adresse uniquement aux étudiants, doctorants, postdoctorants et aux membres des universités et des hautes écoles spécialisés. Les participants sélectionnés sur dossier travaillent en groupe sur la réalisation de projets technologiques et tirent des enseignements au travers d’études de cas pratiques.

Le cursus de l’Université de Genève se distingue par sa durée et ses conditions d’admission. Avec 288 heures réparties en douze modules, un titre universitaire n’est pas impératif, mais une solide expérience est exigée. Autre fait notable, ce diplôme unique en Suisse donne des crédits permettant d’obtenir un MBA en entrepreneuriat. Seule ombre au tableau: les programmes qui soutiennent l’innovation de services ne sont pas suffisamment valorisés. «Attention, rappelle Raphaël Cohen, l’innovation ne se limite pas à la technologie.» Combien coûtent ces programmes? Le coût des formations varie d’une institution, d’une école, d’un programme à un autre. Il est donc indispensable de bien comparer au préalable les prestations proposées. Il y a en a pour toutes les bourses: les mieux loties comme les moins fortunées.

Tous les modules de venturelab sont gratuits. Le semestre de formation entrepreneuriale entre dans le cadre de la dernière année du cursus. Malgré tout, certaines formations de l’université restent payantes. Le coût du diplôme d’entrepreneuriat de l’Université de Genève s’élève à 10 500 francs mais permet d’obtenir un diplôme de niveau postgrade (MBA). Sur demande, des modules isolés peuvent être suivis. Une partie de ces montants peuvent néanmoins être pris en charge à hauteur de 750 francs grâce au chèque-formation, que l’on ne trouve pour l’heure que dans le canton de Genève.

Reste enfin l’option d’une demande de bourse auprès des organismes concernés (administrations cantonales, commission fédérale des bourses d’études, etc.). Toutes les formations se valent-elles? Dans les faits, la qualité des formations est difficilement comparable. Certains programmes prévoient une cinquantaine d’heures de cours, d’autres plus de trois cents. Néanmoins, des critères objectifs permettent de s’y retrouver. Les formations entrepreneuriales universitaires postgrades font l’objet d’un contrôle strict par des comités d’accréditation qui évaluent la qualité des contenus. Des experts s’assurent périodiquement du niveau de l’enseignement avant de renouveler l’accréditation. Autre gage de qualité, les labels. Les normes SQS (ISO) et Eduqua, des initiatives des offices régionaux de placement, fonctionnent surtout pour les organismes privés et font elles aussi l’objet d’un renouvellement régulier. Ces normes vérifient toutefois davantage les processus que le contenu même de l’enseignement. La méthodologie et les supports de cours entrent aussi en compte. «Il y a une grande différence entre un cours ou l’enseignent transmet son savoir et un module où l’élève participe activement en réfléchissant à un projet concret», relève Corinne Desjacques. Dernier indice de qualité, et non des moindres, les intervenants. Dans le domaine entrepreneurial, la formation dépend en grande partie de l’expérience des individus. Leur influence sur un programme d’aide à la création d’entreprise s’avère donc déterminante.

Quels sont les organismes accompagnateurs? Les étudiants-entrepreneur peuvent bénéficier de soutiens appropriés. Tel est le rôle des incubateurs de chaque canton (renseignements auprès des offices de promotion économique). L’objectif central consiste à fournir à un projet scientifique ou technologique ce qu’il lui faut pour devenir viable. Un patron en devenir ne dispose pas nécessairement de toute la logistique nécessaire. Dès lors, les incubateurs offrent la possibilité aux étudiants de faire mûrir leur entreprise sur un terreau fertile. Bureaux, ressources humaines et financières, laboratoires… tout est mis à disposition pour que le projet puisse se développer et aboutir à un procédé commercialisable.

Les sites voués à l’accompagnement fleurissent donc en Suisse, souvent à proximité de parcs technologiques et scientifiques. A noter que les innovations de services ne disposent pas d’autant d’aides, même si les initiatives se multiplient. Pour sa part, l’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL) a lancé au mois de mai dernier son propre département de soutien à la création d’entreprise. Au-delà de l’aide matérielle et financière, l’accompagnement revêt une autre facette: le coaching. Fer de lance au sein de sociétés privées ou publiques, les conseillers sont fortement recommandés, qu’il s’agisse d’amis, de la famille ou de professionnels. «Il est important de se faire aider par une personne qui bénéficie d’une expérience concrète, souligne Raphaël Cohen. Cela évite les déconvenues.»

Comment financer son projet d’entreprise? Plusieurs possibilités existent pour lever des fonds de départ, une phase souvent délicate. Pour commencer, ne pas hésiter à s’adresser à ses proches ou à mettre de sa poche. «C’est aussi ça, prendre des risques, relève Ralph Rimet. Il faut montrer que l’on est prêt à se mouiller comme les autres.» Outre les emprunts bancaires et les donations, il faut aussi envisager les aides indirectes des incubateurs ou les subventions paraétatiques. Il y a aussi la solution d’une prise de participation d’un tiers, le financement par un investisseur privé ou, plus rarement, les clubs de «business angels». Quoi qu’il en soit, la trilogie «family, fools and friends» reste l’option privilégiée pour obtenir des fonds. Petite astuce: les programmes entièrement voués au financement de PME naissantes. Dernier en date, Venture Kick qui, depuis le mois de septembre de l’année dernière, a soutenu 33 startup technologiques pour un montant de 900 000 francs. En l’espace de neuf mois, après trois étapes successives, l’entrepreneur sélectionné dispose d’un capital de 130 000 francs pour l’aider au démarrage de son entreprise. Le montant des financements peut être extrêmement variable. «La fourchette s’étale de quelques centaines de milliers de francs à plusieurs millions. Tout dépend du type d’activité, de l’investissement de base et surtout du retour sur investissement. Pour créer son cabinet de consultant, il peut suffire d’un ordinateur. En revanche, pour ouvrir un restaurant, l’investissement est bien plus lourd», souligne Corinne Desjacques.

Quels sont les risques d’échec? «D’après les investisseurs, cinq entreprises sur dix ne décolleront pas, quatre vont vivoter et une seule fonctionnera vraiment très bien.» Dure réalité que celle décrite par Samuel Sonderegger, patron d’Attolight, une société spécialisée en nanotechnologies. Néanmoins, il reste très difficile d’évaluer le taux de faillites des jeunes entrepreneurs. Pour l’année 2007, le nombre total de faillites s’est élevé à 4314, selon la Feuille officielle du commerce (FOSC). L’insolvabilité a toutefois continué de décroître: une baisse de 4,7% a été enregistrée par rapport à l’année précédente. Selon de nombreux professionnels de l’entrepreneuriat, l’échec en Suisse n’a pas la même résonance que dans d’autres pays, notamment aux Etats-Unis. «C’est encore assez mal vu en Suisse, confirme Raphaël Cohen. Or c’est un très bon moyen d’apprendre. » Sans compter que l’entrepreneuriat constitue une très belle aventure humaine et professionnelle. «Si c’était à refaire, je recommencerais», conclut Ralph.

——-
«Un jeune entrepreneur doit avant tout convaincre les clients de lui faire confiance.»
Patrick Maillard 28 ans, patron d’IMMOMIG SA et étudiant à l’Université de Fribourg.

A 28 ans, il dirige une entreprise leader sur le marché romand des logiciels de courtage et emploie aujourd’hui onze personnes. Ce n’est pas tout: Patrick Maillard est également étudiant à l’Université de Fribourg, à la Faculté des sciences économiques et sociales, où il prépare son master en management. «Mettre en pratique ce que l’on apprend tous les jours, c’est une chance formidable.» Son projet lui a permis de remporter, avec dix-neuf autres participants, le concours Venture Leaders 2007 proposé par venturelab. La récompense? Cet entrepreneur originaire de Fribourg a obtenu dix jours tous frais payés à Boston à la rencontre des plus grands spécialistes de l’entrepreneuriat, plus des cours de haut vol. Dans les mois à venir, ce patron-étudiant bilingue compte partir à la conquête de nouveaux marchés: cap sur la Suisse alémanique.

——-
«Je ne pense pas qu’il soit plus difficile pour une femme de se lancer dans l’entrepreneuriat»
25 ans, ancienne étudiante de l’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL).

A 25 ans, Sophie Kleinknecht a franchi le pas. Cette jeune femme, diplômée en gestion d’exploitation hôtelière et décoration d’intérieur, s’apprête à ouvrir son hôtel à la rentrée 2008. Dernière ligne droite avec les banques et les premiers clients pourront venir se détendre dans une maison alsacienne d’une trentaine de chambres. L’ambiance familiale est de mise, «j’ai envie qu’on se sente chez soi», confirme Sophie. Epaulée par son frère Arnaud, de deux ans son aîné, la jeune femme a participé au récent programme d’incubateur lancé par l’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL). Grâce à une donation familiale, plus d’une centaine de milliers d’euros vont être investis dans l’aventure. «L’essentiel est de croire en son projet», conclut Sophie.

——-
Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 14 août 2008.