Les hommes sont paumés et les femmes s’en inquiètent. Après Elisabeth Badinter en 1992, c’est au tour de la célèbre féministe américaine Susan Faludi d’empoigner le problème dans son nouveau livre («Stiffed: The Betrayal of the American Man», pas encore traduit en français). Selon la journaliste-écrivain, les problèmes des hommes s’expliquent en grande partie par l’évolution de la société de consommation et de services qui ne valorise plus la masculinité traditionnelle (force physique, fraternité, puissance, stabilité, rigidité), mais uniquement l’argent et la célébrité.
«Après s’être attaqué aux femmes, le virus de la consommation s’en est pris aux hommes, explique Susan Faludi dans une interview publiée par «L’Express». Dans l’économie moderne, les hommes, du moins ceux qui ne sont pas en haut de l’échelle, ne voient plus ce qu’ils produisent. Leur valeur n’est plus mesurée que par des faux-semblants: leur corps musclé, leur voiture, leur compte en banque… D’où la profusion de magazines consacrés à l’apparence masculine.»
Au début de la décennie, Susan Faludi, lauréate du prix Pulitzer, avait déjà suscité une polémique nationale aux Etats-Unis avec son livre «Backlash», qui dénonçait le «retour de bâton» des hommes contre les femmes après les années de féminisme.
Aujourd’hui, la journaliste détaille les problèmes d’une masculinité devenue inutile. «On répète aux hommes qu’ils doivent être prêts à changer d’emploi tous les cinq ans… On valorise l’extrême jeunesse, l’optimisme de l’inexpérience… Ce faisant, on détruit les racines de l’identité masculine. Car il s’agit toujours de compétition, non de contribution. Il n’y a plus rien à transmettre, il n’y a que des choses à acheter… Les hommes n’ont plus le sentiment de participer à un projet qui dépasse leur petit monde. Ils ne peuvent plus exprimer une masculinité qui serait tournée vers un service rendu à la société.»
«Les enfants de la génération GI se retrouvent dans un monde différent: informatisé, valorisant la consommation et les célébrités, disait-elle récemment au magazine américain Newsweek dans lequel elle tient une chronique. Dans une culture d’ornements, qui mesure la valeur à la taille des biceps et du porte-monnaie, les hommes ne savent plus où se trouvent leurs forces. D’autant que les outils de leurs pères sont devenus obsolètes.»
Au début de la décennie, Elisabeth Badinter ne disait pas autre chose dans son «XY de l’identité masculine». Après «l’homme dur» est apparu «l’homme mou», en attendant «l’homme réconcilié», celui du nouveau millénaire, qui saurait enfin allier les deux facettes de sa personnalité.
Dans les années 1970, «l’homme mou» répondait aux femmes lassées du machisme. Ce gentil garçon aux airs d’Alain Souchon faisait la vaisselle, passait l’aspirateur, assumait sa fragilité et s’occupait des enfants. Mais la femme des années 90 ne veut plus de ce mollasson. La lourde tâche de l’homme moderne consiste donc à choisir quelle forme il va donner à sa masculinité. Pas facile. Les femmes veulent des compagnons riches et sportifs (planche à voile, surf, pectoraux), mais qui savent aussi changer les couches, faire les courses et jouer du violoncelle.
Et comme si cela ne suffisait pas, le mouvement gay et ses street parades vient brouiller les codes: la sexualisation spectaculaire du corps masculin achève de désorienter notre candidat.
«La nouvelle génération, c’est celle des pères plus ouverts et attentifs, dit Susan Faludi. Elle est le résultat du mouvement féministe: les hommes ont compris que leur accomplissement personnel passait par celui de leur vie familiale. Le tragique, c’est qu’il n’y a que les féministes pour dire que la masculinité ne se mesure pas à la taille du porte-monnaie. Les jeunes hommes se retrouvent donc tiraillés entre la volonté d’être des pères attentifs et le fait que cela n’est pas encore valorisé dans leur culture.»
En attendant l’avènement de l’homme réconcilié, cette période de transition présente aussi quelques aspects positifs. Elle offre une extraordinaire liberté aux mâles occidentaux, qui peuvent choisir le modèle qui leur convient le mieux.