LATITUDES

Au pays du bonheur

Une étude de l’Université de Cambridge a révélé l’adresse des gens les plus heureux du monde. Pourquoi ne pas aller y voir de plus près? Geneviève Grimm-Gobat a fait le voyage.

Non, ce n’est pas à Disneyland, mais sur les rives du fjord de Ringkøbing, dans l’ouest du Jutland, au Danemark, que l’on trouve les gens les plus heureux du monde. C’est du moins ce qu’indique une étude de l’Université de Cambridge publiée l’an dernier.

A l’entrée de Ringkøbing, la capitale de 10’000 âmes, un panneau avertit de l’arrivée «au paradis». En allemand, le slogan «Herzliche Willkommen» («Bienvenue de tout cœur») est des plus pertinents, quand on sait que la localité vient de se doter de défibrillateurs (un tous les 800 mètres) permettant de réanimer sans perte de temps les personnes victimes de défaillances cardiaques.

Dans les dépliants touristes, c’est un smiley jaune qui nous fait un clin d’œil en rappelant l’état de félicité qui règne ici. Un atout subtilement mis en scène un peu partout au pays du design roi.

Le bonheur ne se cultive pas sous les palmiers et dans le chaud. Pas davantage à proximité de la splendeur de pics enneigés. Ici, rien n’entrave le regard qui part à l’infini sur les plages de sable blanc balayées en permanence par le vent ou sur les landes pleines d’airelles. Pas de température caniculaire ni de frimas. Un juste milieu qui permet aux moins frileux de goûter au plaisir de la baignade dans les eaux de la Mer du Nord ou, plus chaudes, à celles du fjord aux quelque cent kilomètres de pourtour.

Le pays est plat, ce qui favorise — on ne peut l’ignorer depuis Montesquieu — l’homogénéité de la communauté qui y réside. Une religion protestante en position quasi monopolistique (Max Weber nous dirait que c’est un gage de richesse), une identité rouge et blanche qui flotte fièrement sur de très nombreux mâts dans les jardins privés (davantage encore qu’en Suisse!): ces Danois réunissent tous les ingrédients du bonheur.

Le bonheur se met en équation. Dans les années 60, Robert Kennedy constatait que le Produit intérieur brut (PIB) mesurait à peu près tout sauf ce qui rend la vie digne d’être vécue. Dans la foulée, le BNB, pour Bonheur national brut, faisait son apparition. De multiples études ont depuis tenté de le cerner.

Les ingrédients suivants sont réunis ici: faible chômage, aides sociales généreuses, accès gratuit à l’assurance maladie, à l’école, aux maisons de retraite, une espérance de vie parmi les plus élevées du monde.

Rien ne semble entamer le moral de ces Danois qui paraissent même heureux de payer des impôts très gourmands (environ la moitié des revenus). L’augmentation sensible des prix du panier de la ménagère, en juillet dernier, est accompagnée d’un commentaire inattendu: «Cela dissuadera un certain nombre de touristes allemands de venir chez nous!».

Politesse oblige, on se garde de parler d’une invasion germanique pourtant bien réelle en été. Enfin, même les odeurs franchement désagréables à proximité de porcheries nombreuses dans la région ne font pas tache puisque qualifiées de «No 7 de Chanel ».

Parmi les facteurs fortement corrélés à des émotions positives, la santé. Le souci de son maintien ne passe apparemment pas par la consommation de cinq fruits quotidiens (ils sont très rares et chers) mais par les oméga 3 du poisson. Et puis, on n’oublie pas de bouger. Sur des pistes bien aménagées à l’extérieur des routes, de 4 à 104 ans, on pratique le vélo en famille. Des familles bienvenues partout. Des restaurants chics aux aires d’autoroutes, des aménagements facilitent leurs tâches.

La santé de la planète est bien prise en compte. De véritables forêts d’éoliennes et des plages où flottent des drapeaux bleus témoignant d’un label de protection de l’environnement donnent une bonne conscience écolo à ces citoyens heureux.

Heureux dans la propreté et la sécurité. Oui, c’est indiscutablement plus propre qu’en Suisse. Dans les campings, ne trouve-t-on pas des douches pour chiens? Quant au vol, l’évoquer semble presque insultant. Les gens sont surpris quand on leur demande si l’on peut abandonner quelques heures une voiture chargée de vélos et matériel de windsurf.

Le bonheur rimerait-il avec sécurité? «On ne pense pas à la violence ou à des choses terrifiantes. Ça ne veut pas dire qu’il n’y en a pas. Mais on n’y pense pas, en général. La vie ici repose sur des valeurs complètement basiques et saines, comme la sincérité, l’honnêteté et le respect des autres personnes. Ça peut être le cas ailleurs aussi, je ne dis pas. Mais le fait de vivre dans une telle sécurité facilite les choses», estime un commerçant de Ringkøbing.

Mais attention, la région est bâtie sur le sable! D’ailleurs, vus de Copenhague, les habitants du Jutland passent pour des Ch’tis. Alors que partout ailleurs dans le pays, l’anglais est parlé très correctement, les «gens les plus heureux» pratiquent peu les langues étrangères. Une façon de préserver un statut enviable, jalousé?

L’effet contagieux ne s’en trouve à coup sûr pas facilité.