Sur le score sans appel de 79,3%, les Genevois ont plébiscité en février dernier la réforme de la constitution de leur canton. Un message clair, où transparaissait l’attente de changements notables. L’occasion surtout de mettre un terme aux sempiternelles querelles entre la ville et le canton, qui paralysent tant de dossiers.
L’un des rôles de la nouvelle charte consistera justement à redéfinir les institutions, en clarifiant les compétences respectives de l’Etat et des communes.
L’élection d’une assemblée constituante de 80 membres, ouverte à tous les citoyens, se déroulera le 19 octobre. Cette task-force aura quatre ans pour proposer une nouvelle constitution aux électeurs genevois, en remplacement de l’actuelle charte fondamentale, vieille de 160 ans. La fin des doublons ville-canton?
« Rien ne justifie aujourd’hui que plus de la moitié de la population genevoise soit représentée par deux collectivités publiques, deux gouvernements, deux administrations, qui au surplus, sont incapables de coopérer », estime Andreas Auer, ancien professeur honoraire de la Faculté de droit, instigateur de l’association Une nouvelle constitution pour Genève.
À ce propos, les radicaux ont lancé une proposition de redécoupage du canton en dix communes (contre 45 actuellement): les quartiers des Pâquis et des Eaux-Vives, par exemple, deviendraient deux communes distinctes.
La gauche, on s’en doute, ne goûte que partiellement à l’idée de voir la Cité dissoute dans un canton traditionnellement ancré à droite: « Les radicaux veulent la disparition de la ville car elle est passée à gauche », répète le maire socialiste Manuel Tornare.
« Quelque chose ne fonctionne pas entre l’Etat et les communes », reconnaît Thierry Tanquerel, directeur du département de droit administratif et fiscal de l’Université de Genève, candidat socialiste à la constituante. Et en effet, on ne compte plus les dysfonctionnements institutionnels qui paralysent Genève.
En matière d’aménagement du territoire, l’affaire de la passerelle des Vernets frise le burlesque: ni la Ville ni le canton, qui se renvoient la balle, ne veulent entreprendre la reconstruction définitive de cet édifice à l’agonie. Même genre de cacophonie dans le domaine social, où l’Etat conteste les rentes versées par la commune aux retraités les plus démunis.
Passons sur le couac des péages urbains, en faveur desquels la Ville s’était publiquement engagée sans même en informer le Conseil d’Etat… Quant au problème du logement, il relève pour ainsi dire du cas d’école:
« Depuis 25 ans, l’Etat veut imposer sa vision de l’aménagement et les communes s’y opposent, constate Bérengère Miffon, secrétaire générale du parti radical. Résultat: rien ne bouge. Le problème tient au fait qu’à Genève (cas unique au monde!), la part prépondérante de l’impôt communal est perçue sur le lieu de travail et non sur le lieu de domicile. Dans ces conditions, les communes n’ont aucun intérêt à accueillir du logement, qui leur coûte beaucoup et leur rapporte peu. C’est l’exemple typique d’un frein institutionnel, estime la radicale. Idéalement, les 100% de l’impôt devraient être perçus par la commune de domicile. Mais la gauche en Ville n’apprécierait pas qu’on l’empêche de dépenser l’argent des autres. »
Deux visions politiques inconciliables? Pas forcément, puisque le PS, qui a déjà fait connaître les grandes lignes de son programme — de même que les radicaux et les Verts –, se déclare en faveur d’une refonte des communes avec une définition claire de leurs compétences et une réduction de leur nombre.
« Il sera plus aisé d’aboutir à un consensus politique dans le cadre de la constituante qu’au sein du Grand conseil, veut croire Thierry Tanquerel. La nécessité d’une vision à long terme devrait permettre de dépasser les slogans partisans. »
Les revendications des représentants de la Fédération associative genevoise (FAGE) ou de l’association Pic vert (propriétaires de villas), entre autres listes indépendantes, laissent pourtant planer le doute.
« Beaucoup de candidats y vont pour défendre des prés carrés ou le statu quo, affirme Bérengère Miffon. Or, le quorum fixé à seulement 3% pour l’élection des membres risque de multiplier les listes les plus hétéroclites, avec pour résultat un consensus mou. La nouvelle constitution pourrait bien s’apparenter à un simple polish sur une carrosserie vétuste, alors que c’est le moteur et le châssis qu’il faudrait changer de toute urgence. »
Jugement plus nuancé de la part de Manuel Tornare: « Le parti socialiste, le PDC et les radicaux peuvent se retrouver autour d’un projet commun, une vision novatrice des institutions. Les intérêts corporatistes risquent toutefois de freiner le processus, admet le maire. Il aurait mieux valu fixer un quorum à 7%. Cela étant, je suis davantage préoccupé par la qualité des élus qui conduiront les travaux. »
Le chantier doit durer quatre ans, à compter du mois d’octobre. Les milieux économiques, habituellement représentés par l’entente bourgeoise, viennent de lancer leur propre liste, baptisée G(e)’avance. Y figurent notamment Michel Barde, ancien directeur de la Fédération des entreprises romandes (FER), ainsi que le directeur général d’Edipresse Tibère Adler, lequel présente sa candidature en compagnie de son fils.
« Ce long délai présente un risque d’enlisement », selon la secrétaire générale du parti radical.
Quatre ans, c’est un temps très court en politique », estime au contraire le maire le la Ville. Les socialistes proposent de consulter les citoyens une première fois à mi-parcours (2010) afin qu’ils valident l’orientation des travaux.
Cette proposition sera débattue par l’assemblée constituante, dont l’action polarisera les espoirs des citoyens et décidera de l’avenir de Genève. La votation du texte définitif devrait intervenir au cours de l’année 2013.
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 24 juillet 2008.