Le feuilleton du chef des armées devenu harceleur permet de meubler les siestes estivales en attendant les réjouissants développements de l’affaire Hannibal.
Il fallait un feuilleton, pour cause d’été. C’est donc Samuel Schmid, ministre de la défense et son chef des armées Roland Nef qui s’y sont bien volontiers collés. Avec bravoure, sérieux, enthousiasme.
En ne relâchant jamais la pression, accumulant avec un savoir faire inégalé les mensonges par omission, les couacs de communication, les arrogances mal placées, les regrets trop tardifs. Histoire qu’il y ait chaque jour un peu de grain à moudre sous la torpeur.
Chapeau donc les artistes. Samuel Schmid a mille fois raison de s’autoproclamer «toujours capable». La presse reconnaissante et unanime ne mégote d’ailleurs pas sur les unes, les titres gras, les éditoriaux enflammés, les micro-trottoirs, les éclairages mettant en scène et lumière les exploits de Laurel-Nef et Hardy-Schmidt.
Les deux comiques troupiers n’ont-ils pas ouvert, avec une bonne volonté, une maladresse et une naïveté confondante, un vrai boulevard à la presse du même nom?
Résultat: à chaque jour sa croustillante révélation — mieux que le tour de France –, à chaque jour sa belle indignation. Voilà Nef traité successivement de «dégoûtant», de «macho de la pire espèce» de «fou furieux qui a détruit psychologiquement son ex amie». Et l’on fait remarquer, à propos de Schmid, que Dame Kopp, jadis, avait démissionné pour moins que ça.
L’affaire Nef permet, de plus, de dresser en plein cœur de la somnolence estivale un énième procès du Conseil fédéral actuel. D’en appeler à la démission de ses quatre maillons présumés faibles: Leuenberger au bout du bout du rouleau, Couchepin qui en vient même à craindre les trous noirs, Micheline Calmy-Rey qui se perd dans la jungle colombienne après s’être pris les pieds dans les tapis persans — en attendant les affres d’un autre feuilleton naissant, l’affaire Hannibal.
Et bien sûr Samuel Schmid qui semble poursuivi par la scoumoune et dont chaque parole, chaque décision depuis quelques mois tourne automatiquement au pataquès et à la gaffe.
Les appels à la démission de plus de la moitié du collège gouvernemental et les spéculations sur les successeurs sont si virulents que le légendaire éditorialiste du Blick Frank A. Meyer a dû recourir à Richelieu pour tenter de calmer le jeu. Avec cette maxime en français dans le tabloïd zurichois, et empruntée au célèbre cardinal: «Surtout pas trop de zèle».
Certes, le fond de l’affaire Nef, quand même, c’est qu’il n’y a pas de quoi casser trois nouilles à un officier supérieur. Certes, les compétences du chef Nef ne semblent pas en cause. Certes il s’agit d’une affaire strictement privée. Certes encore, les médias ont pris la discutable habitude de transformer en affaire d’Etat les petits aléas de l’existence pouvant frapper une personnalité — et quoi de plus banal au XXIe siècle qu’une rupture amoureuse mal digérée?
En poussant même le bouchon un peu loin, on pourrait trouver que dans cette affaire le brigadier Nef a au moins prouvé qu’il était homme à ne pas lâcher facilement le morceau, malgré toutes les réticences dudit morceau. Et rappeler à tous ceux qui réclament à grands cris le licenciement — déjà programmé — du chef de l’armée, au motif qu’un tel poste exigerait «un profil privé transparent et sans tache», que cette notion même de profil transparent et sans tache n’est rien d’autre qu’une négation de l’humanité.
Cela n’existe pas, un profil sans tache, ou alors autant invoquer la Vierge Marie. Cette traque, cette exigence absurde de l’immaculée conception pour tous conduit à ce que dénonce non sans raison Samuel Schmid: une justice populaire, c’est-à-dire laissée au bon vouloir des enquêteurs de la presse du dimanche et dictée par les émotions avinées montant du café du commerce.
A contrario, on pourrait juger l’affaire extrêmement grave, en se basant sur une actualité autrement plus lourde, qui a vu, en France voisine, à quelques semaines d’intervalle, deux pères de famille tuer leurs enfants après n’avoir pas supporté la dislocation de leur couple.
Dans «Le Monde», le psychiatre Daniel Zagury explique que ces «personnalités psychorigides, narcissiques, sont dans l’incapacité à traverser un moment dépressif et à vivre la souffrance. La capacité de supporter la souffrance est au contraire un signe de bonne santé psychique.»
Vu sous cet angle, les fouilles-poubelles (électroniques) de la presse de caniveau auraient cette fois, en ruinant la carrière de Roland Nef, fait oeuvre de salubrité publique. Surtout s’il faudra en venir, d’ici la fin de l’été, à bombarder Tripoli.
