Repassez-vous le film du jeune loup Jacques Chirac. Son allure carnassière n’économisait pas les cigarettes, les Citroën DS de fonction et les écailles de ses imposantes lunettes. Toute une époque au cours de laquelle Woody Allen imposait à New York une allure de loser hypocondriaque, le regard geignard encadré par de grands hublots à rebords noirs.
Comme un uniforme qui rassure ses nerfs, il ne les a plus quittés depuis, tandis que l’ancien président, plus sûr de lui, a suivi la tendance optique vers l’allègement technologique.
Aujourd’hui, ambitieux et chiens battus choisissent à nouveaux de chausser les mêmes verres à grosses montures en plastique, en écaille voire en bois, un matériau disparu qui opère un timide retour. Ces lunettes épaisses et rétro permettent aux uns d’attirer l’attention et aux autres — croient-ils — de s’en détacher en se déguisant.
Les étudiants en écoles d’art ont craqué les premiers pour ce style de geek. Depuis cinq ans, on n’imagine pas un graphiste sans gigantesques lunettes. Elles-mêmes très graphiques, ces dernières ont l’avantage de hiérarchiser un visage et lui donnent parfois du caractère. A tel point qu’un faciès peut décevoir quand il se déchausse.
Côté statement, ces besicles coupent le sifflet à une pensée périmée. On n’essaie plus de camoufler ses carences optiques avec des montures discrètes, des verres de contact ou même de toujours plus banales opérations de la vue; à l’inverse, on les souligne, on les encadre, bref, on les sublime.
«Je vois presque ma myopie comme un atout, assure Laurence Jaccottet, graphiste du collectif lausannois DIY qui a transformé d’énormes solaires en métal d’inspiration seventies en lunettes de vue. Plus que des vêtements flashy ou d’autres accessoires de mode, les lunettes signent un style. Moi-même, je change chaque année depuis six ou sept ans et, à chaque fois, je vais crescendo dans les tailles!»
Autrefois objet médical détesté que certains s’empressaient de ranger dans l’étui dès que l’usage ne leur semblait plus vital, la lunette s’est aujourd’hui transformée en accessoire de mode. Comme un sac, on l’arbore fièrement. Comme un sac, on l’aime version grande taille. Et cela pour le plus grand bonheur des marques. Car quand la surface de monture augmente, le label prend ses aises.
On distingue mieux les C qui s’entrelacent sur de grands modèles que sur de fines montures transparentes. En d’autres mots, ces lunettes offrent de l’espace promotionnel aux marques.
La marque anglaise so chic Cutler and Gross échappe à la règle puisqu’elle n’inscrit rien sur les branches de ses modèles. Seuls donc les initiés les reconnaissent. Elle personnifie pourtant ce style massif depuis plusieurs décennies avec un rétro-glamour façon «Chapeau melon et bottes de cuir».
L’ancien directeur artistique de Gucci, l’Américain Tom Ford, squatte aussi ce secteur avec des modèles d’inspiration pilote ou en écailles années cinquante. Mais c’est bien le grand fabricant Ray Ban qui capte les faveurs du plus grand nombre avec sa Wayfarer eighties en plastique noir.
On le savait peu, mais cette solaire mythique existe aussi en version optique. Et même désormais en de nombreux coloris, du rouge au vert, et du jaune au rose. Mais tous les modèles ne conviennent pas à tous les visages. «La variété de forme actuelle autorise pas mal de combinaisons, mais on déconseille ces paires aux trop petits visages», note Alexandre Lherbaud, opticien à la Lunetterie de Pépinet à Lausanne.