Ils ont le feu au derrière. Pascal Couchepin le premier. Voilà donc le Conseil fédéral, président en tête, qui se précipite en criant au loup pour contrer l’initiative contre les minarets, au moment même où les 115’000 signatures étaient déposée à la chancellerie.
L’habitude veut pourtant qu’on attende qu’un texte soumis à votation passe devant le parlement pour que l’exécutif se prononce.
C’est même une première depuis 1934, lorsque les sept sages hurlaient au stalinisme devant une initiative socialiste qui proposait des mesures pour lutter contrer la crise économique. Là, c’était la terreur rouge qui faisait sortir le Conseil fédéral du bois. Ici , il s’agirait plutôt ne pas se mettre à dos le fascisme vert.
Le communiqué du Conseil fédéral ressemble en effet à un pleurnichard «c’est pas nous, m’sieu», à l’usage des pays musulmans, plutôt susceptibles en la matière. Histoire de s’éviter un incendie planétaire du genre de l’affaire des caricatures de Mahomet.
De la part de Pascal Couchepin, ce refus d’ostraciser, via l’interdiction des minarets, les musulmans de Suisse, relève sans doute de la sincérité viscérale, lui qui avait déjà qualifié dans la presse ce texte de «ridicule et stupide». Pour le reste, on assiste surtout à une diplomatie de l’à-plat-ventrisme, dont une Micheline Calmy-Rey récemment, au Caire comme à Téhéran, s’est fait une malheureuse spécialité.
Pourquoi en effet tant de hâte? Le principale résultat de cette précipitation est de focaliser l’attention sur l’initiative, de lui engranger des soutiens réactifs. Une initiative qui présente au moins l’avantage succulent de diviser encore plus une UDC déjà laminée par la scission grisonne et l’affaire Schlumpf, au point de chuter dans les intentions de vote.
Si l’initiative anti-minaret émane en effet bien d’un UDC de chez UDC, l’ex-conseiller national Ulrich Schlüer, et compte dans son comité de soutien nombre d’huiles du parti, elle ne fait pas l’unanimité chez les blochériens. Même pas chez Blocher lui-même qui annonce ne pas vouloir faire campagne au motif que la question de l’intégration musulmane est autrement plus complexe qu’une simple querelle clochers et de permis de construire.
Le président marionnette de l’UDC Toni Brunner lui aussi, qui figure pourtant dans le comité de soutien, n’est plus très chaud-chaud («ce n’est pas une initiative UDC, le parti ne fera pas campagne») provoquant l’ire d’un Oskar Freysinger: «C’est quoi ce parti, on a toujours eu une ligne et maintenant on devrait être mou? Si les dirigeants retournent leur veste, l’UDC n’a plus lieu d’exister.» Bravo, encore un effort, Oskar.
La base, d’ailleurs, largement favorable à l’initiative, risque quand même de s’emmêler les pinceaux dans l’argumentaire, à l’image du Conseiller national débutant Dominique Baettig, affirmant que l’initiative n’est pas dirigée contre l’islam, une religion «respectable, mais violente, archaïque, sexiste, homophobe».
On ne voit pas bien, dans cette confusion, ce que les musulmans pourraient faire de plus pour perdre leur sainte respectabilité. Mais l’on voit clairement, en revanche, dans de tels propos, que le motif véritable des initiants réside dans une islamophobie de tripes et de principe .
Il existe, Dieu ou Allah merci, un argument rationnel pour rejeter cette initiative. Tellement rationnel que le texte ne sera peut-être pas soumis au peuple, car probablement inconstitutionnel. C’est l’avis de nombreux juristes qui soulignent combien l’interdiction des minarets sur territoire suisse contredirait de traités, chartes et accords internationaux, aussi bien onusiens qu’européens. Et aussi combien n’importe quel quérulent, contestant une interdiction d’érection de minaret chez nous, aurait de bonnes chances de l’emporter à Strasbourg devant la cour européenne des droits de l’homme.
Il existe aussi, soyons juste, un argument fort, mais irrationnel, de soutenir l’initiative: l’absence de réciprocité. Des pays comme l’Arabie saoudite bannissent la pratique du christianisme et des monuments qui vont avec, et les rares musulmans algériens se convertissant au christianisme sont traînés depuis quelque temps devant les tribunaux.
Mais est-on obligé et y a-t- il gloire et honneur à imiter ces infamies? A entrer sur ce terrain-là , les initiants et les 80 % d’UDC qui les soutiennent (estimation d’Yvan Perrin) dévoileraient le fond leur cœur: le rêve d’ une Suisse saoudienne.