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Déplacer les fêtes de Genève en fonction du Ramadan

Dès l’an prochain, la période sainte des musulmans empiètera sur le mois d’août. Avec des conséquences économiques importantes. Faut-il avancer les fêtes de Genève en juillet? Une question à 100 millions de francs qui divise la ville.

C’est un sujet sensible. Un tracas inextricable lié aux dates du Ramadan et à celles des fêtes de Genève, qui vont bientôt se chevaucher.

Dès 2009, et pour la première fois depuis une trentaine d’années, la période sainte des musulmans, dont les dates suivent le calendrier lunaire, aura lieu pendant une partie du mois d’août, avant d’intervenir toujours plus tôt les années suivantes (voir ci-dessous).

Or, pendant cette période de jeûne et de recueillement, les musulmans ne partent pas volontiers en vacances. Et il se trouve que les mois de juillet et août sont traditionnellement ceux que choisissent les touristes arabes pour venir dans les palaces genevois, loin des grandes chaleurs du Golfe et au milieu des fêtes de Genève — début août — qu’ils adorent.

Le manque à gagner pour l’industrie locale en 2009, 2010 et surtout 2011 (annus horribilis avec un Ramadan qui prendra place du 1 au 30 août, au beau milieu des fêtes de Genève!) se fera brutalement sentir:

«En juillet et en août, l’hôtellerie genevoise réalise 80% de son chiffre d’affaire grâce aux touristes du Moyen-Orient, s’inquiète Jean-Marc Imhof, directeur de Fert Tour International, agence de voyage spécialisée dans le tourisme haut de gamme. En l’espace de deux mois, cette clientèle génère environ 50 millions de francs pour les seules nuitées, et 100 millions au bas mot si l’on tient compte des dépenses dans les restaurants et magasins. En 2011, le mois d’août sera de toute façon perdu en raison du Ramadan, mais autant limiter les dégâts et miser à fond sur juillet en avançant les fêtes de Genève.»

Chez Genève Tourisme, organisateur de la manifestation, la question embarrasse. Jean-Pierre Jobin, son président, explique qu’une réflexion globale a été amorcée par rapport à la durée, la localisation et le contenu des fêtes. Il préfère minimiser:

«Les touristes arabes ne représentent qu’une minorité de clients pendant les fêtes de Genève, et ces dernières se destinent d’abord à la population locale. Ce n’est pas au Ramadan d’en déterminer les dates. Du reste, nous nous efforçons d’attirer des visiteurs du monde entier (ndlr: Moscou est l’invité d’honneur de l’édition 2008).»

Politiquement, déplacer les fêtes de Genève pour satisfaire la demande des ressortissants du Golfe reste une question épineuse, car les concessions mercantiles du genre n’ont pas bonne presse dans l’opinion. On se souvient notamment de l’ouverture en pleine nuit de la Fnac pour le bon plaisir de l’entourage du roi Fahd, à l’été 2002, qui avait choqué beaucoup de monde.

Il n’empêche, des voix se font déjà entendre parmi les hôteliers, réclamant davantage de souplesse: «Genève Tourisme devrait d’abord être un organisme de promotion de Genève, critique Jacques Mayer, propriétaire de l’hôtel Beau Rivage. Si la ville met en place des animations, c’est quand même aussi pour attirer des touristes! N’oublions pas que la clientèle du Moyen-Orient se déplace essentiellement en raison des fêtes de Genève. Il ferait sens dès lors de les déplacer à la mi-juillet.»

Au-delà de la question de principe, un tel réaménagement pose des problèmes logistiques, note Christian Colquhoun, directeur des Fêtes de Genève: «Avancée au mois de juillet, la manifestation se juxtaposerait au Paléo Festival. Et puis, ce changement entraînerait des complications logistiques car Genève prête une grande quantité de matériel à Paléo.»

De quoi nourrir quelques inquiétudes pour la prospérité estivale du secteur touristique… «Genève se retrouve en situation difficile car elle s’est positionnée comme une destination de voyages d’affaires. Les hôtels sont bondés quatre jours par semaine et pratiquement vides le week-end. Mais jusqu’ici, la clientèle estivale venue du Moyen-Orient permettait de compenser ce déficit», note Jean-Marc Imhof de Fert International.

«Il manque des manifestations de haute tenue à Genève, renchérit Jacques Mayer de Beau-Rivage. Il faut se poser la question de la finalité de l’Office du tourisme. Le déplacement du Ramadan risque de créer un gros trou, et personne ne s’en préoccupe.»

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Les dates du Ramadan

Les dates du Ramadan, qui suivent le calendrier lunaire, reculent chaque année d’environ deux semaines. Pendant ce mois de jeûne et de recueillement, les musulmans ne partent généralement pas en vacances.

Dès l’été 2009, cette situation occasionnera un manque à gagner substantiel pour Genève, destination prisées des touristes arabes à cette période de l’année. Les Fêtes de Genève ont lieu pendant les deux premières semaines du mois d’août.

2006: du 23 septembre au 22 octobre
2007: du 13 septembre au 12 octobre
2008: du 1er septembre au 30 septembre
2009: du 24 août au 23 septembre
2010: du 10 août au 9 septembre
2011: du 1er août au 30 août
2012: du 20 juillet au 18 août
2013: du 9 juillet au 7 août
2014: du 29 juin au 27 juillet
2015: du 6 juin au 5 juillet
2016: du 27 mai au 25 juin

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 3 juillet 2008.