La Péninsule va mal. En quelques semaines, Berlusconi a renoué avec ses vieux démons. Et ses citoyens, accaparés par la chasse aux étrangers, s’en accommodent.
Malgré les signaux positifs dus à sa large victoire aux dernières élections, le retour de Silvio Berlusconi se passe mal. Tous les jours, les médias se voient contraints de rendre compte de polémiques provoquées par des attaques berlusconiennes qui prennent obsessionnellement les mêmes cibles, la gauche bien sûr, mais aussi et surtout les magistrats et certains corps constitués.
Elu à une confortable majorité, mais dépendant d’un allié, la Lega Nord de Bossi, imprévisible autant qu’exigeante en termes de pouvoir, Berlusconi se heurte à un double handicap. Il y a sa personnalité extravertie, mais d’un ego démesuré, qui l’entraîne à vouloir résoudre ses problèmes par des lois.
Une loi pour mettre les quatre têtes de l’Etat (les présidents de la République, du Conseil, du Sénat et de la Chambre) à l’abri de toutes poursuites judiciaires pendant leur mandat. Une loi pour empêcher les écoutes téléphoniques dont il serait aussi la victime. Une loi encore pour renvoyer d’une année les procès vieux de plus dix ans (dont les siens).
Or ces lois sur mesure (comme on le dit d’un costume) ne passent pas. Ni dans l’opinion, ni même dans sa majorité où l’on voit un Gianfranco Fini, président de la Chambre, jouer les modérateurs, appeler au calme et à la retenue.
La violence entretenue par ces desiderata incongrus dans le champ médiatique vise en fait à masquer la réalité de l’impasse gouvernementale dans la gestion du pays. Le programme électoral flamboyant de la droite n’a pas résisté deux mois à sa confrontation avec la réalité d’un pays en panne, dont le taux de croissance reste désespérément plat.
La baisse des impôts d’au moins cinquante milliards d’euros? Renvoyée à plus tard! La pression fiscale ne pourra pas diminuer avant de longues années. La sécurité? Difficile de la renforcer alors que les budgets, déjà insuffisants, de la police ou de la justice sont en baisse.
La lutte contre le gaspillage? Impossible dans ce domaine aussi de remplir les promesses. La gestion des déchets napolitains en témoigne: malgré l’engagement solennel pris devant les caméras de la télé, personne ne croit que la Campanie sera nettoyée d’ici fin juillet.
Ce ne sont là, dira-t-on, que les aléas d’un pays en crise mal dirigé. Certes. Mais ce qui semble le plus grave est l’état du malade lui-même. De l’Italie et de ses habitants.
Depuis que la droite très à droite a conquis les postes clés, mettant la Lega au ministère de l’Intérieur ou l’ex-MSI Alemanno à la mairie de Rome, tout se passe comme si la chaleureuse et rayonnante Italie avait tourné en un pays irritable, teigneux, hargneux, prêt à sauter à la gorge du premier imprudent qui oserait mettre le doigt sur une de ses plaies.
Cela se traduit par des explosions de racisme et de xénophobie d’une répétitivité affligeante. A croire que le seul souci des Italiens soit le contrôle, la mise en carte et si possible l’expulsion de quelques milliers de tziganes ou d’immigrés africains. Depuis des semaines, il est impossible de regarder le journal de RAI 1 ou de parcourir un grand quotidien sans tomber sur le énième épisode de la chasse aux Rroms.
Que ces signes soient la manifestation d’un mal profond porteur de toutes les incertitudes, le comportement de l’opposition de centre-gauche en témoigne aussi. Plutôt que prendre le contre-pied du gouvernement, les démocrates s’empressent de lui emboiter le pas.
Ainsi, il y a quelques semaines, le maire de Venise, Massimo Cacciari, grande figure de la gauche intellectuelle, a été le premier à appliquer dans sa commune une directive antitzigane du ministre de l’Intérieur Roberto Maroni, un dirigeant de la Lega Nord.
Ce racisme de plus en plus revendiqué prend des proportions effrayantes. Selon un récent sondage de l’eurobaromètre, 47% des Italiens ne tiennent pas à avoir un Rrom comme voisin alors que la moyenne européenne tourne autour de 24%.
Pour tenter de reprendre la main, de mettre un point d’arrêt à ce mauvais trip collectif, un quarteron d’opposants issus d’horizons divers convoque une manifestation à Rome le 8 juillet.
Il y a là les animateurs de Micromegas, une revue de la gauche altermondialiste. Il y a les amis de l’ancien juge Antonio Di Pietro. Il y a aussi les amis de Beppe Grillo, l’homme qui réunit des foules considérables sur le seul slogan: «Qu’ils aillent se faire foutre!». Il y a encore des intellectuels de haut vol comme Umberto Eco.
Le mot d’ordre de la manif est la lutte contre la dictature qui menace. Mais il y a encore plus de 40% des Italiens (contre 60% il y a deux mois) qui soutiennent Berlusconi.
Par ailleurs, le parti démocrate de Veltroni refuse de participer à la manifestation tant il sent de l’agressivité contre la modération de ses propres positions. C’est dire qu’il y a peu de chance que le 8 juillet parvienne à fouetter les consciences.
