KAPITAL

Des horaires flexibles pour fluidifier le trafic

Permettre aux employés d’échapper aux heures de pointe et aux embouteillages: les initiatives lausannoises se révèlent convaincantes.

A Morges comme à l’entrée de Genève, les embouteillages surviennent avec une régularité métronomique chaque matin autour de 8 heures et, dans une moindre mesure, le soir vers 17 heures. Les automobilistes le savent bien, mais la plupart ne peuvent y échapper: ces horaires leur sont imposés par leur employeur. Même problème dans les transports publics: des foules de pendulaires ne trouvent pas de places assises aux heures de pointe, alors que dans la journée, certains wagons restent quasiment vides. «Cette situation est devenue absurde, dit Stéphane Garelli, directeur du World Competitiveness Center à Lausanne, lors du Forum des 100, organisé par L’Hebdo le 22 mai dernier. On ne résoudra pas les problèmes de congestion du trafic tant que l’on ne flexibilisera pas les horaires de travail.»

Permettre aux employés les plus matinaux d’arriver au bureau à 5 heures? Autoriser les lève-tard à travailler jusqu’à 21 heures? Séduisante en apparence, l’idée peut vite déboucher sur des problèmes d’organisation, tant à l’interne que dans les relations de l’entreprise avec l’extérieur.

Plusieurs employeurs ont cependant déjà fait un pas vers l’horaire flexible. UBS, par exemple, qui emploie plus de 2000 personnes à Genève et dans ses alentours, impose un quota annuel d’heures à ses employés, qui peuvent ensuite les répartir à leur convenance. Un mode d’organisation, qui selon la porte-parole Rebeca Garcia, permet aux salariés d’ajuster quotidiennement leurs trajets. «Les employés planifient eux même leur journée de travail. Dès lors qu’ils s’arrangent avec leur équipe et leur responsable, et qu’ils satisfont aux besoins des clients, ils gèrent librement leur solde d’heures.»

Un autre moyen d’organiser la flexibilité horaire, et de désengorger ainsi les voies de communication, consiste à alterner temps souples et temps bloqués. Pendant une année pilote, la municipalité de Lausanne a expérimenté cette méthode dans sept services différents. Le principe est le suivant: du lundi au vendredi, les heures flexibles doivent être réalisées entre 6 heures et 20 heures.

L’objectif: permettre aux employés de mieux concilier vie privée et vie professionnelle. Valérie Berset Budde, du Bureau de l’égalité lausannois, témoigne: «Un jour par semaine, je commence relativement tôt. Ma journée terminée, je rentre sans être bloquée dans les embouteillages.» Quand le besoin du service s’en fait sentir ou que la présence de l’équipe au grand complet est impérative, les horaires deviennent imposés. Le temps est ainsi «bloqué», la continuité du service assurée et la présence du salarié rendue obligatoire. Dans ce cas, les heures fixes sont laissées à l’appréciation de l’employeur. «En cas de litige, indique Valérie Berset Budde, c’est toujours à la hiérarchie de trancher.»

Fortes du succès rencontré (82% de personnes satisfaites, selon un sondage interne), les autorités lausannoise ont voté le 3 juin dernier l’extension du projet aux 4’600 salariés de la Ville. Entre septembre 2008 et l’automne 2009, policiers, employés de crèches ou encore salariés administratifs accèderont par étape à la flexibilité horaire. «Il se trouve que les collectivités publiques représentent 20 à 25 % des emplois lausannois, précise François Marthaler, ministre vaudois des infrastructures. Agir sur cette frange de population peut avoir un effet non négligeable sur le décongestionnement du trafic.»

Même constat à l’Université de Lausanne qui, depuis octobre 2005, innove en matière d’échelonnement du temps de travail. Pour répondre à un problème de surcharge de la ligne de métro M1, les cours ont été agendés en cascade, avec une demi-heure d’écart entre la zone est et ouest du campus. Les résultats parlent d’eux mêmes: 25 % de capacité gagnée dans les transports. «Et autant d’investissements publics reportés», précise François Marthaler.

Même quand elle est appliquée depuis longtemps, la flexibilité horaire reste insuffisamment exploitée. «Car aménager le temps de travail dans les entreprises ne suffit pas, dit Stéphane Garelli. Si la journée commence en passant chez le teinturier ou en accompagnant les enfants à l’école, les gens seront de toute façon obligés de se déplacer aux heures de pointe.» En d’autres termes, la flexibilité horaire ne fonctionne que si un nombre suffisant d’acteurs se prête au jeu. Pour sa part, Xavier Comtesse, directeur d’Avenir Suisse, suggère de réduire le nombre de trajets. L’école à journée continue, par exemple, diminue les migrations quotidiennes. Si les parents n’ont plus à aller chercher leurs enfants à l’heure du déjeuner, le nombre de trajets se limite à deux, le matin et le soir.

Pour une meilleure coordination horaire entres les établissements, Guy-Phillipe Bolay, directeur adjoint de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI), propose un accord entre grandes entreprises et autorités concernées. «Le canton pourrait inciter certaines branches d’activité à ne commencer qu’à partir de dix heures du matin. Dans le secteur industriel par exemple, les équipes pourraient se relever pendant les heures creuses.»

Autre solution envisagée: des mesures incitatives. Pour le ministre des transports vaudois, François Marthaler, la flexibilité horaire doit être «orientée» par des encouragements. «Le principe est identique à celui de la distribution d’électricité. Je préconise de surbaisser les tarifs des transports publics en dehors des heures de pointes. Il est temps d’apprendre à se déplacer autrement.»

Mais pour beaucoup d’experts de la mobilité, à l’image de Giuseppe Pini, enseignant aux universités de Genève et Lausanne, l’échelonnement des horaires de travail ne suffira pas à résoudre les problèmes de congestionnent du trafic. Il s’agit avant tout d’adapter l’offre de transport, en développant les infrastructures. Vincent Kaufmann, professeur de sociologie urbaine et analyste de la mobilité à l’EPFL, est convaincu que la faiblesse du réseau nuit à l’attractivité de la région genevoise. «Sur le long terme, la flexibilité horaire est une solution insuffisante en regard des efforts qu’il reste à accomplir dans le domaine des infrastructures routières et surtout ferroviaires. Ne pas ajouter de nouvelles rames relève d’un choix politique. Il faut investir.»

——–
Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 3 juillet 2008.