LATITUDES

Le paradoxe des radars autoroutiers

Les radars de l’autoroute Genève-Lausanne réduisent les excès de vitesse. Mais leur effet sur le nombre d’accidents reste controversé. Enquête.

«La Police cantonale vaudoise dresse un bilan positif des actions menées dans le domaine de la circulation routière en 2007.» Tel était le jugement sans nuance qui servait d’introduction à un communiqué de la gendarmerie vaudoise, publié à la fin du mois de février.

Mais voilà, les chiffres, eux aussi, sont têtus. Parmi les données récoltées, les plus étonnantes concernent le fameux tronçon de 42 kilomètres de l’autoroute A1 (entre l’échangeur d’Ecublens et celui de Genève), placé depuis un an et demi sous l’étroite surveillance de radars automatiques: pas moins de 17 points de contrôles disséminés tous les 5 kilomètres.

Or, que constate-t-on à la lecture des statistiques? Que le nombre d’accidents sur ce tronçon a sensiblement augmenté depuis la prolifération des radars: 268 accidents recensés en 2007 contre 227 en 2006 et 211 en 2005.

Dans le même temps, le nombre de personnes tuées sur les routes vaudoises, qui avait nettement diminué entre 2003 et 2006, passant de 61 à 36, a stagné l’an dernier (35). La répression sans discernement montrerait-elle ses limites?

À la fin d’octobre 2007 déjà, soit plusieurs mois avant la publication des statistiques, la section vaudoise du Touring Club Suisse (TCS) avait tenté d’alerter les autorités en lançant un pavé dans la mare: «Au début, le dispositif de la police a fonctionné, mais les conducteurs habitués se sont ensuite mis à accélérer entre les radars et à ralentir à leur approche. Ce phénomène dangereux s’est aggravé ces derniers mois. Je suis convaincu que les accidents ont augmenté», prédisait Vincent Hutter, rédacteur au TCS, cité dans la Tribune de Genève.

Les statistiques lui ont donné raison (au moins sur la conclusion) mais la police cantonale réfute cette interprétation. Elle dit ne pas avoir constaté d’effet d’accordéon entre les radars, et s’entête à défendre son dispositif: «Notre but principal était d’apaiser la conduite et nous estimons que l’installation des radars a permis d’atteindre cet objectif. D’ailleurs, beaucoup d’automobilistes nous remercient», assure Jean-Christophe Sauterel, porte-parole de la Police cantonale vaudoise.

Pour expliquer l’augmentation de tôle froissée, la gendarmerie allègue notamment que le trafic a augmenté. C’est effectivement le cas, mais cette hausse n’excède pas 1,4% sur le fameux tronçon… d’après les chiffres mêmes de la police. Quant à l’argument selon lequel les usagers ont dressé moins de constats à l’amiable au cours de l’année 2007 — et gonflé du même coup la statistique –, il semble pour le moins hors de propos, surtout s’agissant d’accidents survenus sur l’autoroute…

Jean-Marc Thévenaz, porte-parole du TCS, avance une autre hypothèse pour expliquer l’augmentation des accidents sur l’A1: «Je tiens d’abord à préciser que nous ne contestons pas le 120 km/h sur les autoroutes. Cette limite nous semble raisonnable. Mais l’alignement de radars pose certains problèmes, avec davantage d’automobilistes inattentifs. Beaucoup de conducteurs téléphonent ou squattent désormais la file de gauche.»

Faudra-t-il attendre que les chiffres de 2008 viennent confirmer la tendance apparue en 2007 pour que la police vaudoise entende certaines critiques? Pour l’heure, elle soutient qu’il n’existe pas de lien de cause à effet entre la multiplication des radars et la hausse des accidents sur l’autoroute.

Quand bien même, le bilan statistique pour le tronçon de l’A1 n’a de toute façon rien de flatteur. De quoi repenser l’ensemble du dispositif, selon Jean-Marc Thévenaz: «Je n’irai pas jusqu’à affirmer que les nouveaux radars ont causé des accidents, mais une chose est certaine, ils n’ont pas permis d’en diminuer le nombre. Au final, je pense que la police est la première déçue du résultat. De notre côté, nous estimons que les points de contrôle n’ont pas tous été placés dans des endroits dangereux (ndlr: le canton de Vaud compte 23 boîtiers fixes, dont 17 le long de l’A1…). Il serait plus judicieux de redéployer les radars à disposition dans des zones réellement accidentogènes.»

D’autant que de tels endroits ne manquent pas. Ce que confirme, paradoxalement, la police vaudoise: «Pour l’ensemble du canton, nous avons identifié une centaine de lieux où la présence d’un radar se justifierait pleinement», admet Jean-Christophe Sauterel.

Si l’on songe que la gendarmerie du canton ne dispose que de huit radars fixes (les boîtiers métalliques ne sont pas tous chargés en même temps) et de cinq radars mobiles, c’est à se demander pourquoi elle alloue autant de ressources au tronçon Ecublens-Genève. «Le dispositif déployé sur l’A1 répond à une stratégie globale d’apaisement de la conduite, justifie Jean-Christophe Sauterel. Il fallait bien commencer quelque part.» Et si l’on repartait de zéro?

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Mesurer la vitesse moyenne, une solution d’avenir

Dissipons d’emblée un possible malentendu: ce n’est pas la suppression des radars dont il est question. La preuve est faite de leur utilité. De 2000 à 2006, le nombre de mort sur les routes suisses est passé de 592 à 370, notamment grâce à une nette intensification des contrôles.

Pour franchir un nouveau cap, la mise en place de contrôles par section constitue une piste prometteuse. Avec un tel système, c’est la vitesse moyenne, mesurée d’un point A à un point B, et non plus la vitesse instantanée qui serait contrôlée. La police italienne recourt à ce dispositif sur les autoroutes, où la vitesse moyenne des véhicules peut être calculée entre deux péages. En Suisse, deux radars faisant office de bornes permettraient d’atteindre le même objectif, limitant ainsi les effets d’accordéon (freinages intempestifs) souvent constatés avec les points de contrôles classiques.

L’Office fédérale des routes (OFROU), propriétaire des routes nationales depuis le 1er janvier 2008, planche actuellement sur un tel projet. “Nous souhaitons permettre aux polices d’effectuer à l’avenir des contrôles de la vitesse moyenne sur les routes nationales, explique Frédéric Revaz, porte-parole de l’OFROU. Des discussions sont en cours pour déterminer un endroit où l’on pourrait réaliser un projet-pilote.”

Les contrôles traditionnels ne sont pas négligés pour autant: “L’OFROU élabore actuellement une stratégie qui définira des critères uniformes pour la localisation des radars fixes, en fonction des besoins de sécurité routière, précise Frédéric Revaz. L’idée consiste à placer les radars en priorité dans les zones accidentogènes. Dans cette optique, nous sommes en trains de répertorier précisément tous les accidents survenus en Suisse.”

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Radars ou pompes à fric?

Le débat ne date pas d’hier: les radars servent-ils simplement à remplir les caisses des cantons et des municipalités? Selon certaines indiscrétions, une petite semaine suffirait à rentabiliser un radar fixe fraîchement installé, dont le coût se monte pourtant à 160’000 francs. Et selon l’OFROU, le montant total des amendes perçues par l’ensemble des cantons s’élève annuellement à environ 400 millions de francs. De quoi voir venir. Et alimenter les critiques…

Mais les polices, on s’en doute, combattent cette manière de voir. “Notre démarche est axée sur la prévention, insiste Jean-Christophe Sauterel, à la police cantonale vaudoise. D’ailleurs, les points de contrôle installés sur l’A1 sont tous visibles et le taux d’automobiliste pris en faute n’excède pas 0,15%.”

Reste qu’entretemps les radars mobiles — eux invisibles — se sont aussi multipliés, ce qui contrebalance largement la donne. En clair, l’argent continue de rentrer dans les caisses. “Les recettes des amendes sont affectées au budget du service pénitentiaire”, se défend Jean-Christophe Sauterel.

Il convient de relever que, selon les cantons, les polices font plus ou moins de zèle. À Zurich, un seul kilomètre heure de dépassement sur un tronçon limité à 50 km/h (soit 56 km/h effectif avec la marge d’erreur de 5 km/h) équivaut parfois à une amende. D’autres cantons font preuve de plus de souplesse et laisse davantage de marge aux automobilistes avant de les flasher.

Pour couper court à la polémique, pourquoi ne pas affecter à la sécurité routière une partie du produit des amendes? Si les cantons ne se pressent pas pour adopter une telle loi, la solution pourrait bientôt intervenir au niveau fédéral.

Les parlementaires Franziska Teuscher (Vert) et Ulrich Giezendanner (UDC) ont déposé chacun en octobre 2006 une motion allant dans ce sens. Les deux textes demandent que la moitié du produit des amendes soit affectée obligatoirement au renforcement de la sécurité routière, pour une partie dans les infrastructures, le reste devant servir à éduquer les usagers de la route, à organiser des cours et des campagnes de sensibilisation à la sécurité routière.

“Le Conseil fédéral doit se saisir de cet objet cet été, explique Frédéric Revaz, à l’OFROU. Le vote du Parlement pourrait intervenir déjà en 2009.”