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Taliban ou lobbyiste, il faut choisir

Devenir un sectaire de gauche ou un salaud de droite: la vie du politicien n’est pas toujours exaltante. Le débat sur l’interdiction du tabac le prouve. Comme les mésaventures de Christophe Darbellay.

Donc il a plié. Pour la première fois. Super Darbellay a été mis au tapis par les caciques du PDC de son Valais natal. L’occasion pour le président du parti national, humilié chez lui, de s’épancher un peu dans la presse sur un ton plutôt inhabituel.

De ce passage à confesse, que ressort-il? Une curieuse série d’affirmations qui donnent un éclairage involontaire mais cru sur l’impossibilité de la cohérence et du désintéressement en politique. Et d’abord qu’être valaisan et devenir un personnage important serait à peu près inconciliable: «J’ai toujours été tiraillé entre mes racines valaisannes et ma volonté d’occuper une position forte en politique suisse.» Les rares d’ailleurs qui parviennent à démentir la règle — les deux membres du Conseil fédéral 100% d’origine valaisanne par exemple — sont loin, très loin de faire l’unanimité.

Qu’ensuite le problème du PDC ne serait pas son centrisme mou, son cul toujours à cheval entre mille et une chaises, mais bien au contraire sa puissance, sa force. Une force tellement forte qu’elle finirait par paralyser ses propres membres: «Nous ne devons pas avoir peur de notre propre force.» Certes, ce serait là un coupable aveu de faiblesse.

On apprend aussi que Darbellay, selon ses partisans, ou plutôt selon Darbellay citant ses partisans, «serait le seul qui fait peur aux Zurichois». Sur les bords de la Limmat, où banquiers et princes de l’économie ont fait depuis longtemps du rugueux Couchepin leur chose, on en rigole encore.

Darbellay démonte au passage l’un des principaux reproches mis en avant par ceux qui ne l’aiment pas au sein du PDC valaisan, à savoir qu’il serait «trop à gauche», affirmation qu’il qualifie «d’argument à deux balles». Il est vrai que sous la coupole, en quatre ans d’activités, sur ce plan-là, le grand Christophe a rarement été pris en défaut.

Enfin, pour expliquer que face à une coalition anti-Darbellay qui se préparait depuis deux ans, la cause était perdue d’avance, il utilise une image qu’on verrait bien recyclée par le malheureux Köbi Kuhn: «Vous pouvez faire tout ce que voulez, même chanter l’hymne national, cela ne sert pas à grand chose.»

À ce propos, le débat sur l’interdiction de fumer dans les lieux publics qui s’est tenu au Conseil national est venu confirmer que faire de la politique pouvait en effet sembler ne pas servir à grand chose et s’apparenter plutôt au compissage minutieux de divers violons. Avec, comme seul choix laissé à l’honnête homme qui se lancerait, celui de finir dans la peau d’un taliban ou d’un lobbyiste. C’est-à-dire d’un sectaire de gauche ou d’un salaud de droite.

La bataille s’est focalisée sur les exceptions à cette mise hors-jeu du tabac: la droite en voulait un maximum, la gauche un minimum. Aux ordres d’intérêts économiques divers — cigarettiers, hôteliers, etc. –, les salauds de droite, main sur le coeur, larme à l’œil, jurent qu’il y va de la survie de «certains bistrots campagnards» asphyxiés par un régime sans volute, étouffés en somme par un déficit de fumée passive.

Les sectaires rouges, eux, font dans le populisme le plus stalinien en invoquant le droit sacré des travailleurs et l’inattaquable volonté majoritaire réclamant sans nuance un monde sans fumée, sans exception, sans danger, sans relief, sans vie. À la grande fureur — comme quoi rien n’est simple — d’un pourtant lobbyiste confirmé, sa seigneurie Pascal Couchepin, dénonçant «un combat d’arrière-garde, de la part de gens qui savent que la cause est perdue».

On voit là surgir brusquement la marque des grands politiciens, la recette pour réussir: savoir être tantôt taliban, tantôt lobbyiste, tantôt salaud, tantôt sectaire, selon la direction du courant.

Comme dirait Darbellay à l’heure de l’autocritique: «Il y a eu beaucoup de vents contraires, des attaques systématiques de toute parts et des alliances qui m’ont parfois échappé.»