LATITUDES

Botox à 25 ans? Des médecins s’insurgent

Les injections de toxine botulique explosent en Suisse, y compris auprès des jeunes femmes. Une pratique qui divise la communauté médicale.

«J’avais des ridules sur le front, mais j’hésitais un peu à recourir au Botox. Mon docteur m’a dit que je n’étais pas la seule de moins de trente ans à utiliser ce produit. Ca m’a rassurée et je me suis lancée.» Zoé vient de franchir le pas. A 27 ans, la jeune femme a reçu ses premières injections de Vistabel, plus connu sous le nom de Botox. Quelques piqûres plus tard – il en faut une dizaine pour aplanir le front – la jeune femme est convaincue: «Je vois et je ressens une vraie différence. Mon front est beaucoup plus lisse.»

C’est un fait, les femmes ont recourt de plus en plus tôt à la chirurgie esthétique. Du côté des médecins, injecter la toxine à des patients aussi jeune divise. Luigi Polla, célèbre dermatologue et directeur du Forever Laser Institut à Genève, a récemment médiatisé sa propre fille, Rachel, 25 ans et 3 injections à son actif, dans les colonnes de Migros Magazine. Une démarche publicitaire décriée par d’autres praticiens. «Personnellement, je trouve ça ridicule, s’emporte Raphaël Gumener, chirurgien esthétique et médecin responsable à l’institut L. Raphael. Chez les moins de 25 ans, je ne vois aucune ride. Je ne sais pas ce que je pourrais traiter!»

Un avis partagé par Bernard Noël, dermatologue et responsable du centre Skin Care, au CHUV: «Personnellement, je refuse de soigner des patients de moins trente ans. Mais certains de mes confrères le font: c’est avant tout une question de business.»

Face aux attaques de ses confrères, le docteur Polla reste de marbre: «Je persiste et signe. Le Botox, il faut commencer tôt. C’est une question médico-esthétique: vers 18 ans, des ridules se dessinent sur le front et entre les yeux. Sans intervention, elles se creusent profondément. Grâce au Botox, on peut retarder leur apparition. C’est un traitement préventif.»

En théorie, l’argument fait sens: plus les muscles sont paralysés tôt, moins les rides apparaissent. Mais quand commencer? A 10, 20 ou 30 ans? «Le revers de la médaille avec la prévention, c’est qu’on peut débuter dès la naissance, constate Mishal Brugger, médecin consultant au centre de chirurgie plastique de la clinique Montchoisi. Quand une femme de 20 ans demande à être traitée à la toxine botulique, il faut savoir dire non!»

«Aujourd’hui, les 19 à 34 ans représentent près de 20% de nos clients, compte le docteur Polla. Il y a quinze ans, lorsque j’ai débuté les injections, cette clientèle n’existait quasiment pas.» Au total, près de 2% des genevoises auraient désormais recours aux injections. Un chiffre à prendre avec des pincettes: «Il n’y a aucune statistique officielle sur l’utilisation de ce produit, précise le docteur Jean-François Emeri, président de la Société Suisse de chirurgie plastique, reconstructive et esthétique (SSCPRE) à Lausanne. Mais, c’est vrai, la demande explose.»

Attirés par ce marché juteux, les praticiens proposant ce traitement se multiplient. Preuve de l’engouement pour le Botox, le CHUV – pourtant hôpital public – vient d’ouvrir un centre baptisé Skin Care. «Bien sûr, ce n’est pas vraiment le rôle d’un hôpital de faire ça, reconnaît Bernard Noël, le responsable du centre. Mais, grâce à cet institut, nous formons des médecins à l’usage Botox et cela rentre dans la mission d’un hôpital universitaire.» D’autant que, jusqu’ici, la formation pour cette technique fait défaut.

«Juridiquement, il suffit d’être médecin pour injecter du Botox», explique Catherine Perrin, directrice de la SSCPRE. Résultat: des dermatologues, des plasticiens, des médecins généralistes, des gynécologues et même des dentistes, des assistants médicaux et des paramédicaux en proposent à leurs patients. «La situation est inquiétante, regrette le docteur Raphaël Gumener. Aujourd’hui, certains praticiens injectent la toxine botulique avec une formation plus que minimale. Dans certains cas, le Botox circule même sous le manteau.»

Et des pratiques douteuses apparaissent: les Botox party, fêtes où l’on mélange Champagne, cocktails et injection de toxine, ont débarqué en Suisse. A Zurich, des médecins injectent du Botox dans un salon de coiffure. D’autres, un peu partout en Suisse, cassent les prix. Il faut dire que, selon les thérapeutes, le traitement du front passe de 400 à 1200 francs. «Cette évolution est regrettable, s’emporte le docteur Jean-François Emeri de Lausanne. Il faut que les patients se responsabilisent et aillent consulter des médecins qualifiés. Avec d’autres spécialités comme la dermatologie, seuls les chirurgiens plastiques sont qualifiés.»

Pour Luigi Polla, qu’importe que le médecin traitant soit généraliste, dermatologue ou chirurgien esthétique: «Tout est question d’habitude. Plus on utilise sa voiture, mieux on conduit. Avec le Botox, c’est pareil: plus on injecte, mieux on le fait.» Si elles sont mal appliquées, les injections de Botox ne sont pas totalement dénuées de risques.

A la base, la toxine botulique est le poison le plus puissant connu au monde: 40 millions de fois plus toxique que le cyanure! Heureusement, en dermatologie esthétique, «les doses injectées sont infimes, de l’ordre de 100 unités par séance, alors que la dose létale se situe entre 2’000 à 3’000 unités. D’ailleurs, à ma connaissance, il n’y a jamais eu d’accident grave avec le Botox cosmétique», affirme le docteur Bernard Noël. Les seuls problèmes observés sont des paupières tombantes (ptôse palpébrale), des inflammations et des problèmes de déglutitions lorsque l’on traite le cou. Toutes ces afflictions sont temporaires. Elles disparaissent spontanément au bout de quelques semaines. «Dans de rares cas, il peut y avoir des complications oculaires entraînant un dessèchement de la cornée, qui oblige à consulter un ophtalmologue», précise le docteur Jean-François Emeri.

Mais qu’importe, «il y a un véritable engouement des médecins non spécialistes, notamment des gynécologues, car la technique est très lucrative», poursuit le médecin. D’autant que le traitement est temporaire: l’effet des injections ne dure que 4 à 6 mois. «Le Botox est un produit addictif, explique le docteur Bernard Noël. Une fois qu’on y a touché; difficile de s’arrêter. Un médecin qui convertit une jeune fille de 20 ans s’assure ainsi des revenus pour des années.»

Zoé, 27 ans, sait déjà qu’elle recommencera: «Mon médecin m’a conseillé de renouveler les injections tous les 6 mois. Je ne pense pas que j’y aurais recours aussi régulièrement. Mais une chose est sûre: je le referai.» Stéphanie, 35 ans et trois ans de Botox derrière elle, confirme: «Je vais continuer les injections jusqu’à ce que je fasse un lifting. Mais ce n’est pas pour demain!»