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La preuve par Bubenberg

Au moment où l’agenda politique est cannibalisé par les divisions de l’UDC et les minables rancoeurs personnelles, les partis veulent être reconnus d’intérêt public.

Vous avez dit Bubenberg? Mais oui Adrien 1er von Bubenberg, aristocrate et guerrier bernois, qui finira excommunié et poursuivi pour dettes à titre posthume mais n’en aura pas moins, dressée par la postérité, sa statue sur une place de Berne.

Voici donc Bubenberg devenu le nom de code de cette curieuse opération consistant à sauver les Grisons. Et quand on dit «Grisons» désormais, on veut parler des sympathisants d’Eveline Widmer-Schlumpf menacés d’exclusion du giron UDC par les vilains blochériens.

Là, ce sont les cousins modérés bernois qui envisagent la création d’un nouveau parti. Où seraient rassemblés, de Coire à la fosse aux ours, ces espèces de militants hybrides surreprésentés aujourd’hui au gouvernement: les UDC non xénophobes.

L’un des conspirateurs du plan Bubenberg, le conseiller national Hans Grunder le dit tout net: «On ne peut pas laisser passer de telles choses sans réagir. Si l’on commence à exclure ceux qui ne s’alignent pas sur la position du parti central, où s’arrêtera-t-on?»

Bonne question, qui s’était déjà posée à Moscou en 1937 et qui avait trouvé sa réponse dans le permafrost du goulag. Mais si l’on fait remarquer à Grunder que les succès de l’UDC sont dus à la dynamique blochérienne et pas aux modérés du parti, il balance un argument plutôt jésuitique: «Nous ne sommes forts qu’ensemble», autrement dit «lorsque les ailes bernoises et zurichoises font front commun».

Quant à l’héroïne du psychodrame, Eveline Widmer-Schlumpf, plutôt qu’à une fieffée traîtresse, elle ressemblait d’avantage, lors de son passage récent à Lausanne, et selon 24 Heures, à «une jeune novice bénédictine, dans son français étriqué et son sage costume brun».

Ce qui ne l’a pas empêchée de trouver que ce nouveau parti sous la bannière Bubenberg pourrait être «une option valable» et que d’ailleurs elle-même «peut très bien gouverner sans l’UDC».

Toujours est-il que cet interminable feuilleton schlumpfien semble occuper l’essentiel de l’énergie du microcosme politique. Le président du PDC Christophe Darbellay a beau expliquer, dans «Le Matin» – en réponse à la question «êtes-vous un fanfaron?» – que cette histoire le «saoule», la dite histoire n’en phagocyte pas moins l’agenda politique et les prestations médiatiques de mesdames et messieurs les élus, éclipsant par exemple les importantes votations du 1er juin.

Un feuilleton revigoré encore par le fameux documentaire de la TV alémanique tendant à montrer que, bon, Eveline a quand même un peu trahi les siens, par des contacts préalables avec les comploteurs du 12 décembre et de «solides garanties» données – parole de fanfaron – qu’elle accepterait son élection.

Sur le plateau d’Infrarouge, Christian Levrat, le président du PS, s’est un peu énervé à propos de ce fameux reportage, estimant que certains y parlaient trop. Des noms! s’est exclamée la bonne Romaine Jean. Assis à côté de Christophe Darbellay, Levrat rétorque: «Je n’ai pas pour habitude de dénoncer mes voisins de table». Ambiance.

C’est dans ce contexte de politique au ras du bitume qu’intervient, un peu malencontreusement, le projet de la commission des Instituions politiques du Conseil des Etats réclamant, à la demande de députés UDC, que les dons versés aux partis politiques soient déductibles des impôts. Au motif que les partis en question seraient d’intérêt public. Une proposition soutenue, ben voyons, par l’ensemble des formations.

Intérêt public? A travers les années, de nombreux juristes ont planché sur la question, répondant plutôt négativement. Telle la juge fédérale Danielle Yersin en 1989, expliquant que chaque parti défendant sa propre conception de la société, il était abusif de parler d’intérêt public.

On pourrait aussi se retourner vers Eveline Widmer-Schlumpf pour bricoler le syllogisme à tiroirs suivant: gouverner consiste à défendre l’intérêt public; or Eveline Widmer-Schlumpf n’a pas besoin de l’UDC pour gouverner; donc l’UDC n’est pas d’intérêt public; or l’UDC est un parti; donc les partis ne sont pas d’intérêt public.