CULTURE

Finance et art contemporain: un mariage arrangé

Banques et galeries visent souvent les mêmes catégories de clients. Pas étonnant qu’elles tissent des liens plus ou moins apparents. Enquête.

«Nous avons organisé une conférence sur Le Corbusier pour les employés de la banque LODH. Cela a été un réel succès puisqu’une trentaine de collaborateurs ont assisté à cette présentation et que plusieurs d’entre eux ont acheté des pièces», se souvient Frédéric de Senarclens, directeur de la galerie genevoise Bartha & Senarclens.

Si les galeries recherchent des acheteurs potentiels dotés d’un certain pouvoir d’achat, de leur côté, les banques sont en quête de nouvelles fortunes à gérer. La synergie s’impose. Un véritable mariage de raison qui se concrétise de diverses manières, depuis la visite guidée jusqu’à la présentation de travaux d’artistes émergents en passant par des conférences thématiques.

«Chaque année nous organisons une série d’événements en marge des foires d’art de Maastricht (TEFAF) et de Bâle (Art Basel) pour nos clients, prospects et collaborateurs, explique Françoise Pedrazzini, membre de la direction de la banque ING à Genève. Le sponsoring de manifestations artistiques est un outil de marketing avec lequel nous approchons et fidélisons notre clientèle.»

Lors de ces événements, si la présence des employés de la banque n’est pas exigée, elle est vivement souhaitée. «Lorsque nous traitons avec des clients collectionneurs, il est primordial de pouvoir partager leur passion pour l’art, de pouvoir en discuter avec eux, surtout si on est amené à les accompagner à des expositions ou à des foires», poursuit la directrice.

Du côté des galeries, l’institution elle-même peut devenir un client potentiel. «Nous avons présenté les œuvres du sculpteur Tom Carr à des institutions privées, des banques et des assurances, explique Frédéric de Senarclens. L’idée était de leur faire connaître les travaux de commandes réalisés par l’artiste pour des entreprises privées.»

Quelle meilleure preuve de bon goût qu’une monumentale sculpture meublant le hall d’entrée? «En tant que galerie, nous percevons une commission sur les travaux de commande dans la mesure où nous représentons l’artiste et le mettons en contact avec un acheteur.» Une somme qui peut devenir importante dans le cas d’œuvres d’une telle envergure.

La dynamique entre art et finance permet à chaque partie de faire fructifier ses affaires. Galeristes, financiers et amateurs aisés se retrouvent en toute décontraction, en dehors des heures de bureau autour d’intérêts communs.

«Les banques privées et les sociétés financières profitent de plusieurs façons du sponsoring d’expositions d’art, détaille Charlotte Mailler, directrice de la galerie d’art moderne Interart à Genève et présidente de l’association «Art en vieille ville», regroupement de 15 galeries et du musée Barbier-Müller. Le nom de ces sociétés est véhiculé par nos supports promotionnels, au travers des articles de presse et les collaborateurs sont également présents lors de ces événements, ce qui leur permet d’approcher et de nouer des relations avec de potentiels clients.»

Des prospects qui intéressent au plus au point les gérants de fortune, puisque certains d’entre eux sont capables de débourser plusieurs millions de francs pour une toile comme celles proposées par la galerie Interart. «Notre métier de galeriste rejoint celui de banquier puisque les œuvres que nous vendons sont de très bons investissements financiers», ajoute la directrice.

Les maisons de vente aux enchères sont également touchées par la nouvelle passion des banquiers pour les investissements artistiques. «Les banques s’intéressent de plus en plus à l’art et organisent des cycles de conférence sur ce domaine pour leurs employés, indique Caroline Lang, directrice générale de Sotheby’s Genève. Elles cherchent des orateurs et parfois ce sont nos spécialistes qui sont amenés à s’exprimer.»

Et pour les collaborateurs qui auraient manqué la présentation, Sotheby’s organise également d’autres conférences, certes publiques, mais s’adressant avant tout aux potentiels acheteurs.

«Il est important pour nous que les principaux acteurs du marché aient une bonne connaissance de l’art, poursuit Caroline Lang. Dans un but éducatif, nous organisons des visites guidées et nous organisons des rencontres autour d’une thématique avant certaines ventes. L’idée est de donner des outils à nos clients pour comprendre l’art et les oeuvres mises aux enchères.» Et de bénéficier d’éventuels avantages collatéraux, bien sûr.

Au-delà de l’acquisition de nouveaux acheteurs, les galeristes travaillent à fidéliser leur clientèle, à transformer un simple curieux en vrai collectionneur.

«Certaines banques privées nous ont demandé de faire des visites pour leurs clients prestigieux, dit Lucy Mackintosh de la galerie lausannoise qui porte son nom. Nous nous retrouvons face à des directeurs de banques qui ne comprennent pas bien l’art. Notre rôle consiste à leur faire des suggestions pertinentes. Il en va de la réputation de la galerie de proposer à ces cadres supérieurs des œuvres d’artistes qui font carrière et vont acquérir de l’importance sur le marché.»

Et tisser une relation de confiance avec ces hauts dirigeants. «Les banquiers et les cadres supérieurs ont un certain pouvoir d’achat et l’enjeu n’est pas de les convaincre de la valeur de l’objet, ils ne la remettent pas en question, mais plutôt de les guider et de leur donner envie de nous faire confiance pour développer leur collection.»

Et ça marche. A soixante ans, Magnus Dagerskog, directeur technique du département Food Service de Nestlé International, s’intéresse depuis peu à l’art contemporain. «Je n’y connaissais rien, explique-t-il modestement. Il y a environ 5 ans, j’ai rencontré Lucy Mackintosh et c’est en discutant avec elle que mon goût pour l’art contemporain s’est développé.» Aujourd’hui, il ne saurait manquer une exposition.

«L’art contemporain m’apporte énormément. Les œuvres m’ouvrent à de nouvelles réflexions. J’ai acheté quelques peintures et des photographies de Joël Tettamanti. Je considère l’art comme un bon placement et me réjouis d’être à la retraite pour pouvoir développer ma collection.»