Combien de temps le groupe Kuoni restera-t-il indépendant? La question taraude depuis longtemps les analystes. Fin 2007, le départ d’Armin Meier, patron du groupe depuis 2005 et fermement opposé à tout rapprochement, avait relancé les rumeurs. Et mercredi dernier, l’annonce de son remplacement au 1er janvier 2009 par Peter Rothwell n’a fait qu’ajouter de l’eau au moulin.
Dans son communiqué, Kuoni précise qu’en tant que «directeur adjoint de TUI Travel, Peter Rothwell avait participé dans une large mesure au succès de la fusion entre TUI et First Choice.» Un signe? Dans un secteur en pleine consolidation, où les acquisitions n’ont pas manqué en 2007, une fusion de Kuoni, à moyen terme, est qualifiée de «plausible» par les analystes.
«Ce groupe constitue depuis longtemps une cible très intéressante. Tous les voyagistes ont regardé ce dossier avec intérêt, explique Matthieu Bordeaux-Groult, analyste chez Richelieu Finance, fonds qui possède 3,5% de Kuoni. Mais la clé d’une telle opération se trouve entre les mains de la fondation Kuoni & Hugentobler, qui détient 6% de l’entreprise et 25% des droits de vote.»
Celle-ci a pour l’instant toujours privilégié l’indépendance. «Nous ne voyons pas ce qu’un rapprochement avec un autre groupe pourrait nous apporter, dit Max E. Katz, patron intérimaire de Kuoni depuis le départ d’Armin Meier. Les synergies, notamment, seraient assez faibles, et les résultats de l’année dernière ont encore montré que nous pouvions vivre seuls: notre chiffre d’affaires s’est apprécié de 15,1%, à 4,699 milliards de francs, et notre bénéfice net de 16,8%, à 36,3 millions.»
Pour René Weber, analyste chez Vontobel, même si «les résultats de 2007 étaient légèrement en-deçà des prévisions, cette stratégie d’indépendance est clairement justifiée pour le marché haut de gamme, où Kuoni est implanté. Mais sur le marché de masse, de plus grands volumes lui donneraient des avantages incontestables.»
Par ailleurs, les mégafusions qui se sont produites en Europe l’année dernière — entre Thomas Cook et MyTravel, ainsi qu’entre TUI et First Choice — ont accentué la pression sur le titre du voyagiste suisse. «Kuoni se trouve isolé dans le secteur et ses résultats sont moins bons que ceux de ses concurrents. Un rapprochement avec un autre groupe pourrait lui permettre de bénéficier d’effets d’échelle importants», estime Matthieu Bordeaux-Groult.
Thomas Cook, TUI Travel, voire le Club Med, font figure de principaux intéressés en vue de lancer une offre publique d’achat sur Kuoni. «Nous sommes cotés en bourse: si quelqu’un lance une offre, ce sera à nos actionnaires de trancher», lâche Max E. Katz.
Le voyagiste compte deux grands actionnaires: Silchester International Investors (environ 13% du capital) et Capital Group (environ 10%). Mais c’est la fondation Kuoni & Hugentobler, jusqu’ici opposée à un rachat, qui dispose de la majorité des droits de vote (25%), bloquant de facto presque toute possibilité de fusion.
«Il y a un vrai problème de transparence au niveau du management avec cette fondation, s’énerve un analyste. Personne ne sait exactement ce qu’elle veut faire avec Kuoni, ce qui alimente les rumeurs.» En août 2006, Andreas Schmid, alors président du conseil d’administration de Kuoni, avait dû renoncer à ses fonctions après avoir tenté d’organiser une fusion avec First Choice. Un an plus tard, Roberto Luna, directeur du voyagiste pour la Suisse, démissionnait à son tour et, en décembre dernier, c’était au tour d’Armin Meier.
Dans ce contexte, l’arrivée d’une nouveau CEO peut-elle changer la donne? «Non, pas à court terme», répond René Weber, analyste chez Vontobel, et ce pour au moins deux raisons: «Premièrement, Peter Rothwell n’arrivera à son poste que le 1er janvier 2009 et, deuxièmement, les deux grands du secteur, Thomas Cook et TUI Travel, doivent encore digérer leur propre fusion, avant de se lancer dans un nouveau rachat. Après, ces deux groupes pourraient éventuellement être intéressés.»