Pour l’heure indécelable, le dopage génétique se profile comme l’arme ultime des tricheurs. Mais cette technologie menace la santé des sportifs et pose de graves questions éthiques. Décryptage.
Le dopage génétique s’est-il déjà répandu parmi les sportifs d’élite? La question taraude les esprits à quelque mois des Jeux olympiques de Pékin. Car personne ne peut garantir que des athlètes n’y recourent pas. Et pour cause: cette nouvelle forme de dopage s’avère indécelable avec les outils actuels.
«Dans le cas d’une manipulation génétique, le corps va fabriquer de lui-même les substances propices à telle ou telle performance», explique Martial Saugy, directeur du Laboratoire suisse d’analyse du dopage (LAD). En d’autres termes, le produit d’un gène inséré dans l’organisme ne se distingue pas de celui généré par l’athlète. Une caractéristique qui rend obsolète les contrôles antidopage classiques, qui se limitent à la détection de substances exogènes.
Le dopage génétique s’inspire directement de la thérapie génique, soit l’insertion par seringue de gènes dans les cellules d’un individu (telle qu’expérimentée, notamment, pour guérir la myopathie). A la différence que les méthodes sont ici appliquées à un organisme sain. Concrètement, des centaines de gênes influencent les performances sportives. Certains commandent l’augmentation de la masse musculaire, d’autres régulent la quantité de cellules sanguines présentent dans l’organisme (lire ci-dessous).
Dans cette optique, plutôt que de doper un athlète en lui administrant, par exemple, des doses exogènes d’érythropoïétine (EPO) — une substance produite par le corps qui améliore les capacités d’oxygénation –, il s’avérera plus astucieux de lui inoculer des gènes capables de commander eux-mêmes la production endogène d’EPO.
Des expériences de ce type menées sur des animaux ont abouti à des résultats spectaculaires. «Nous avons élevé des souris qui possèdent deux fois plus de globules rouges que les autres. Le sang est aussi épais que du miel liquide et représente 25% de leur poids», rapporte Max Gassmann, professeur à l’institut de physiologie vétérinaire de l’Université de Zurich. «Mais ces souris vivent deux fois moins longtemps», précise le généticien… On sait pourtant que ce genre de mise en garde ne suffit pas à raisonner tous les athlètes, loin s’en faut.
Les experts estiment cependant qu’un recours massif à ces techniques n’est pas encore d’actualité. «Je crois davantage à un raffinement des méthodes existantes, pour lesquelles le savoir faire s’est beaucoup développé, confie ainsi Martial Saugy. Le dopage génétique demeure complexe à mettre en œuvre et ses effets à long terme sur un corps sain restent méconnus.»
«Je ne serais pas surpris d’apprendre que les premiers essais ont déjà eu lieu», avait pour sa part déclaré Théodore Friedman, l’un des meilleurs spécialiste en recherche génétique, président du groupe de travail de l’Agence mondiale antidopage (AMA) sur le dopage génétique. C’était en décembre 2005…
L’AMA a tenté de prendre les devants, inscrivant dès 2003 le dopage génétique sur la liste officielle des «substances dopantes et méthodes interdites». L’agence mondiale finance parallèlement plusieurs programmes de recherche pour tenter d’élaborer des systèmes de détection (lire ci contre). Las, en la matière, les tricheurs ont une fâcheuse tendance à conserver une longueur d’avance sur les gendarmes.
«A terme, seules des limites éthiques pourront empêcher le dopage génétique de se propager, redoute Martial Saugy. Ce phénomène va concerner la prochaine génération d’athlètes. Avec des dérives prévisibles, tel que l’établissement du génome pour la sélection de jeunes talents. Selon les prédispositions de chacun (force, endurance, souplesse, etc.), on choisira de modifier ou de réguler certains gènes, afin d’orienter très tôt l’avenir sportif des individus.» Une perspective quasiment inéluctable si l’on considère, précisément, que la Fédération australienne de football avait envisagé, dès 2004, de tester génétiquement des joueurs, avant de se rétracter devant l’opposition du Comité olympique australien.
Déjà, aux quatre coins du monde, des équipes de médecins travaillent sur l’identification de gènes pour prévenir certaines blessures sportives. «Le passage de la thérapie au dopage peut survenir de manière insidieuse, relève Martial Saugy. Car la frontière est mince entre thérapie de réparation — une pratique autorisée par l’AMA — et préparation pour rendre un athlète plus fort. S’il est possible de faire pousser des cellules de cartilage, de tendon ou de muscle pour les restaurer ou les développer, alors il devient tentant d’en faire profiter également les athlètes valides… Mais le plus grave, peut-être, et ce qui fait vraiment froid dans le dos, c’est de se dire que ces manipulations auront des effets irréversibles.»
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A chaque performance son gène
Les chercheurs dénombrent aujourd’hui plus de 165 gènes ou variantes géniques (la liste ne cesse de s’allonger) susceptibles d’améliorer les performances sportives dans telle ou telle discipline.
Sprint
Une variante très spécifique du gène ACTN3, appelée forme R, s’avère plus souvent présente chez les sprinters. Ce gène produit l’alpha-actinine-3, une protéine qui augmente la force et la vitesse de contraction des fibres musculaires rapides.
Endurance
En matière d’endurance, c’est un gène connu sous les initiales ACE (Angiotensin-Converting Enzyme), impliqué dans les mécanismes d’adaptation de la circulation sanguine à l’effort, qui intéresse particulièrement les chercheurs.
Entraînement
Il a également été constaté que l’entraînement porte plus ou moins ses fruits en fonction du génotype. En cause, le gène responsable de l’assimilation du glucose, qui existe en deux variantes: Pro12 et Ala, selon une étude réalisée à l’Université du Maryland (Etats-Unis).Curieusement, ces différences n’apparaissent pas chez les femmes.
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Dépistage encore expérimental
Aucun test officiel ne permet à ce jour de détecter le dopage génétique. L’Agence mondiale antidopage (AMA) a néanmoins mobilisé plusieurs millions de dollars pour développer des méthodes de détection. Différentes pistes sont actuellement explorées. L’une des plus prometteuses consiste à identifier l’ADN «étranger» dans le sang.
Cet ADN de synthèse implanté artificiellement s’avère en effet dépourvu de certaines séquences connues sous le nom d’introns, présentes dans presque tous les gènes naturels de l’organisme. En se basant sur l’absence d’introns, il devient possible de détecter les traces d’ADN de synthèse.
Mais rien n’est aussi simple car dans le sang d’un athlète dopé génétiquement, cet ADN de synthèse ne représente qu’un pour mille de l’ADN total. Pour ne rien arranger, plus le transfert des gènes (c’est-à-dire le dopage génétique) est ancien, plus cette concentration baisse! En clair, le chemin semble encore long avant qu’un test standard voit le jour.
Une méthode plus simple consisterait à procéder à une biopsie des tissus supposés avoir reçu le gène. Mais il semble inimaginable qu’une telle intervention intrusive, attentant à l’intégrité physique, soit un jour appliquée en guise de dépistage.
Autre option, l’usage de procédés d’imagerie, tels que la tomographie par résonance magnétique (TRM), qui permettrait de visualiser les endroits où a lieu une activité génétique inhabituelle au niveau du métabolisme des tissus. Mais ce procédé s’avère très couteux.
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Le dopage traditionnel n’a pas dit son dernier mot
Tandis que se profile le spectre du dopage génétique, on en oublierait presque que les méthodes classiques ne cessent de s’affiner, ce qui rend leur détection toujours plus complexe. «La difficulté est double, souligne Martial Saugy, directeur du Laboratoire suisse d’analyse du dopage (LAD). D’une part, les substances interdites sont désormais absorbées plusieurs semaines avant la compétition, avec des doses idéalement calculées, de sorte qu’elles deviennent quasi indécelables au moment du contrôle. D’autre part, les produits utilisés ressemblent de plus en plus aux substances produites naturellement par le corps. Sur ce point, on se rapproche des caractéristiques du dopage génétique.»
A ces difficultés, s’ajoute le fait qu’il faut des preuves pour pouvoir exclure les tricheurs. Or, les contrôles ne permettent jamais d’établir un diagnostic fiable à 100%. «C’est l’un des problèmes, concède Martial Saugy, les juges acceptent difficilement que subsiste une infime marge d’erreur. Nous avons souvent la conviction qu’un athlète s’est dopé, mais sans pouvoir le prouver de manière absolument définitive.»
Aujourd’hui, les tricheurs, guidés par des médecins spécialisés, s’apprêtent avec une rigueur toute scientifique. Entre autres méthodes et substances illicites, transfusions sanguines, hormones de croissance, EPO de dernière génération et même stéroïdes anabolisants — un produit que l’on imaginait pourtant dépassé — composent la panoplie du parfait dopé, comme le laisse entendre Martial Saugy.
Transfusion sanguine
Le dopage par transfusion sanguine, qui vise à accroître le nombre de globules rouges, une récente méthode appliquée par le LAD permet de détecter les transfusions dites homologues, c’est-à-dire lorsque le contrevenant recourt au sang d’un donneur compatible. En pratique, l’athlète s’injecte un demi-litre de sang juste avant la compétition, ce qui va augmenter ses capacités d’oxygénation. En revanche, les autotransfusions — qui fonctionnent selon le même principe mais en se réinjectant son propre sang, préalablement retiré — échappent encore aux tests antidopage. Eclipsé dans les années 90 par l’EPO, plus commode à utiliser, le dopage sanguin a fait son grand retour au printemps 2004.
Hormones de croissance
Ces substances induisent une fonte des dépôts graisseux, une augmentation du taux de sucre sanguin (glycémie) et un développement de la masse musculaire. Selon Martial Saugy, l’hormone de croissance compterait plus d’un adepte parmi les sportifs. Pourtant, aucun résultat positif n’a encore été enregistré.
EPO
Largement médiatisée lors des scandales qui ont secoué le cyclisme dans les années 90, l’érythropoïétine (EPO) vit une seconde jeunesse. «De nouvelles formes d’EPO, dites bio-similaires, ont fait leur apparition», relève Martial Saugy. La Dynepo, l’une d’entre elles, est fabriquée sur une lignée cellulaire humaine et non animale comme l’EPO.
Stéroïdes
Enfin, les stéroïdes, que l’on croyait passés d’usage, continuent pourtant de faire les beaux jours des athlètes dopés, et pas seulement pour accroître leur masse musculaire: «Prise à petites doses, cette hormone favorise la récupération et s’avère difficilement détectable», fait remarquer le directeur du LAD.
Détection
Dès lors comment confondre plus efficacement les tricheurs? «Le «passeport sanguin» constitue une solution, estime Martial Saugy. Il s’agit d’un document qui regroupe les résultats de tous les tests urinaires et sanguins que l’athlète a subis. L’idée étant que les sportifs ne passent plus seulement des contrôles au moment des compétitions, mais qu’ils fassent l’objet d’une surveillance continue, ponctuée de tests surprise.» Un tel suivi longitudinal a été mis en place par l’Union cycliste internationale (UCI). Depuis cette saison, les coureurs qui disputent les grandes épreuves doivent présenter un passeport sanguin. Les irrégularités seront considérées comme des preuves de dopage.
Mais si le monde du cyclisme, durement touché par les affaires, a fait sa révolution, d’autres milieux temporisent, à commencer par la puissante Fédération internationale de football (FIFA), qui s’en tient, pour l’heure, aux contrôles urinaires.
