Triomphe de Berlusconi et de la Lega Nord; recomposition du paysage politique institutionnel; élimination des communistes. Les électeurs stabilisent la gouvernance du pays sans résoudre ses problèmes.
C’est avec 3,5 millions de voix d’avance que Silvio Berlusconi l’emporte sur son concurrent Walter Veltroni. Les chiffres sont impressionnants: alors que l’on avait l’impression que le désintérêt gagnait les électeurs, ils furent tout de même plus 80% à se rendre aux urnes. Et 17,1 millions (46.8 %) à voter Berlusconi contre 13,6 millions (37.5%) pour Veltroni, deux millions d’électeurs restant fidèles aux centristes démocrates-chrétiens de Casini.
Berlusconi obtient une confortable majorité absolue tant à la Chambre qu’au Sénat ce qui devrait lui permettre de gouverner d’une main ferme pendant les cinq ans à venir. Pour viser ensuite la succession du président de la République Giorgio Napolitano. Le richissime homme d’affaires milanais aura ainsi pleinement rempli l’objectif qu’il s’était fixé en 1994 lorsqu’il entra en politique: sauver sa fortune, échapper aux juges et à la prison en se hissant au sommet du pouvoir.
Par contre, pour les Italiens, ce troisième retour au pouvoir de leur idole risque fort de se terminer comme les précédents par une déception à la mesure des espoirs suscités par le Cavaliere. Après quinze ans de rendez-vous politiques manqués, les électeurs sont toujours fascinés par ce personnage hors norme. Mais derrière ce succès se cache la remontée de la Lega. La droite aura de la peine à maintenir le calme dans ses rangs.
Pour expliquer ce succès, les politologues accusent les télévisions berlusconiennes et leurs programmes indigents. Mais force est de constater que le propriétaire de ces chaînes est lui-même perçu par son public comme un héros de série télévisée. Et que dans cette Star Academy permanente, il est régulièrement plébiscité. D’ailleurs, n’adore-t-il pas pousser la chansonnette en public et rappeler ses débuts de musicien du samedi soir?
Pour se faire une idée de la politique qui attend les Italiens ces prochaines années, il suffit de se reporter au cours chaotique de la première année du sarkozysme en France: des coups de tête ou de dés, des improvisations, des contradictions, des incohérences, peu d’avancées beaucoup de retraits. Le tout sur un fond de réaction néoconservatrice privilégiant la xénophobie, le refus de l’autre, un populisme au ras des pâquerettes. Et un retour aux valeurs prétendument sûres: la religion, l’armée, le patriotisme économique, l’euroscepticisme.
La grande nouveauté du scrutin tient à la bipolarisation de l’espace parlementaire italien, à son américanisation. Deux groupes feront désormais la pluie et le beau temps, ceux de Berlusconi et de Veltroni. Les autres partis, à de rares exceptions près (la Lega qui double ses voix, l’ancien juge Di Pietro qui fait aussi un joli score) sont éjectés du parlement.
Pour mesurer la nouveauté de la chose, il faut se souvenir que le gouvernement Prodi, qui expédie toujours les affaires courantes, regroupe treize partis dans sa coalition! Cela ne signifie pas que les courants ou les différences sont abolis: le groupe parlementaire de Berlusconi va réunir sous la même férule des démocrates-chrétiens, des ex-fascistes, des léguistes, etc. qui vont conserver leurs personnalités propres.
Mais le concept bariolé d’arc-en-ciel dont s’est inspirée la gauche radicale pour s’unir en vue du combat électoral (sinistra arcobalena/gauche arc-en-ciel: trois partis communistes et des verts se tirant dans les pattes) est balayé. Cette extrême-gauche dont le leader présidait le parlement sortant n’a, faute de quorum, ni députés ni de sénateurs.
Pour la première fois depuis soixante ans, il n’y aura plus de députés communistes en Italie. Le symbole est d’autant plus parlant qu’en 1948 la défaite de la gauche qui pensait alors tirer les bénéfices de la Résistance fut cinglante, tout à fait comparable à celle d’aujourd’hui.
La volatilisation des communistes italiens achève le processus de disparition du communisme dans les pays latins et catholiques d’Europe occidentale (Espagne, France, Italie). Cela devrait contraindre la gauche de renoncer à l’agitation papillonnante des groupuscules à la manière trotskiste pour rechercher les vraies réponses à apporter aux grandes questions du moment: quel développement, quelle croissance et à quel prix, quelle maîtrise de la globalisation tant pour les flux de capitaux et de marchandises que pour les flux humains, quel espace pour l’Etat-nation?
Il suffit de jeter un coup d’œil à l’étal d’une librairie, du côté des revues qui devraient alimenter débats et réflexions pour se rendre compte que pour le moment la gauche pensante ne s’est pas encore remise des défaites subies dans les années 1970 et 1980. Les rares théoriciens qui subsistent sont âgés, coulés dans des moules idéologiques surannés, dépassés par le poids de la marche effrénée du capital financier.
Après eux, rien ou presque. Et quand on voit les prétendants à la succession (style Besancenot), la perception du vide générationnel prend toute son ampleur. C’est dire que le marasme va durer. Ces évolutions sont très lentes. Ne perdons pas de vue que la Commune de Paris de 1871, dont l’échec illumina tout de même les luttes ouvrières du XXe siècle, prenait appui sur la Commune révolutionnaire de 1793 qui lui légua son idéologie insurrectionnelle de lutte pour la défense des artisans.
Héritier de cette tradition insurrectionnelle et putschiste, le communisme à la manière bolchéviste est désormais bien mort. Reste pour les gauches à s’inventer un avenir. Car les droites elles, Sarkozy et Berlusconi en tête, ne leur laisseront pas de répit. De leur bazar idéologique, elles peuvent faire surgir à tout moment n’importe quel singe savant.
