- Largeur.com - https://largeur.com -

Une Italie résignée vote pour beurre

«Politiciens italiens vous faites horreur.» Planté à un carrefour très passant devant la librairie Feltrinelli de Largo Torre Argentina, un jeune homme à l’humeur sombre tient à bout de bras sa pancarte sans prononcer un mot.

La foule l’évite sans un regard, sans commentaire. Dans une indifférence qui en dit long sur le rejet de la chose politique par une population écœurée par sa classe politique. L’approbation, tacite, est palpable.

Ce sont des électeurs désenchantés qui s’apprêtent à renouveler leur parlement les 13 et 14 avril prochains. Le mode d’élection, inventé par un ministre de la Lega Nord d’Umberto Bossi, est des plus étranges. Pas tellement en raison des quorums élevés (5% pour la chambre des députés, 8% pour le sénat) que parce qu’il est conçu pour sauvegarder les privilèges de la partitocratie.

Les électeurs ne choisissent pas les personnalités qui vont les représenter mais votent pour des partis qui eux décident seuls quels seront les heureux élus. Cela permet tous les abus, protège les corrompus et les magouilleurs, pollue tout fonctionnement démocratique. Ce mode de scrutin accentue la dérive dénoncée l’an dernier par S. Rizzo et G.A. Stella dans leur best-seller «La Casta» (Rizzoli Ed.) dans lequel ils décrivent avec minutie les mille et une combines inventées par les élus pour rendre leur passage au pouvoir hautement lucratif.

C’est dire que quelque soit le résultat des élections du week-end, le gros des troupes parlementaires retrouvera fauteuils, prébendes et passe-droit. Qu’ils soient de gauche ou de droite, du centre ou des extrêmes. Et ceux qui resteront sur le carreau ne seront pas nécessairement les plus mauvais.

Dans ces conditions, pourquoi aller voter? Les Italiens pour la première fois se posent la question avec sérieux. Certaines personnalités ont même ouvertement prôné l’abstention dans des proclamations relayées par les médias. Ce fut le cas d’Andrea Camilleri, intellectuel tard venu au roman policier qui, depuis un quart de siècle, tient la péninsule en haleine avec les enquêtes du commissaire Montalbano.

Partisan de l’abstention, il s’est ravisé après que la programmation la semaine dernière d’une aventure de Montalbano sur RAI Uno, la grande chaîne de télévision, eut écrasé en terme d’audience les prestations de Berlusconi et Veltroni sur une chaîne concurrente. Prestation, pas débat, car les deux adversaires ont refusé de se rencontrer face aux caméras.

Il n’est donc pas étonnant qu’à quelques jours du scrutin, les sondages aient fait apparaître un nombre important d’indécis. N’empêche, depuis des semaines ils donnent l’avantage (entre 5 et 8 points) à Berlusconi. Un Berlusconi vieillissant, hésitant, qui n’a plus le punch d’il y a quinze ans quand il s’était lancé pour la première fois à l’assaut du pouvoir.

Sa double expérience du gouvernement l’a refroidi: aujourd’hui, loin de fanfaronner en promettant la lune, il se veut prudent, et va répétant que ce sera difficile, que la situation a changé. Comme premier responsable de la gabegie ambiante, il parle d’or, avec une connaissance approfondie des dossiers.

A droite, la surprise vient surtout de l’aphonie de Gianfranco Fini, l’ancien patron des néo-fascistes reconvertis depuis une quinzaine d’années en droite démocrate. Alors que cette élection aurait dû lui donner l’occasion de prendre une sérieuse option sur la succession de Berlusconi, il marque le pas, accuse une fatigue politique étrange, peine à trouver l’élan nécessaire pour mettre ses troupes en mouvement.

Le centre-gauche de Veltroni n’est guère mieux loti. Le gouvernement Prodi qui expédie les affaires courantes a battu des records d’impopularité. L’affaire des déchets napolitains (mal) gérée par des administrations locales de gauche fait tache dans le paysage. De surcroît, la gauche n’a jamais osé s’attaquer à l’empire médiatique berlusconien. Cette faiblesse (compromission?) finit par irriter.

Au-delà, Veltroni lui-même multiplie de pathétiques efforts pour apparaître comme un homme neuf en essayant de faire croire que l’ancien dirigeant communiste qu’il est n’a plus rien à voir avec la gauche. Il y parvient. Mais se coupe du même coup de larges secteurs de l’opinion naguère acquis au PCI qui ne voteront pas pour lui.

Cela dit, il faut souligner que dans cette campagne, le principal objectif de Veltroni est moins de gagner que de se positionner, de prendre date pour le prochain défi électoral, celui qui les portera au pouvoir lui et le Parti démocrate qu’il vient de fonder.

Moralité: les cinquante millions d’électeurs sont invités à une élection qui comptera pour beurre. Le match nul est annoncé, prévisible, en raison d’une loi électorale qui ne permet pas de dégager une vraie majorité de gouvernement. Ce qui stupéfie néanmoins l’étranger de passage, c’est de constater que les Italiens que l’on connaissait un peu plus vifs acceptent de se faire tondre comme des moutons par des élites politiques déconsidérées.

Il est vrai qu’à Rome, la tradition veut qu’en avril on mange l’«abbacchio» ce succulent agneau de lait qui n’a pas eu le temps de croître pour se fondre dans le troupeau bêlant avançant tête baissée vers un avenir incertain.