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Boycotter les Jeux olympiques? Bien sûr

Le gouvernement chinois veut séduire la planète mais piétine les libertés tibétaines. Cette arrogance ne mérite qu’une réponse: le boycott de Jeux qui ne servent qu’à renforcer la dictature.

Ainsi donc, il a fallu une simple manifestation en souvenir de la révolte qui en 1959 contraignit le dalaï-lama à prendre le chemin de l’exil pour gripper la machine pourtant bien huilée de la dictature chinoise. Et entendre le chef du Parti communiste du Tibet s’en prendre en des termes choisis au dalaï-lama: «Le dalaï est un loup en robe de moine, un diable au visage humain mais au cœur de bête! Nous sommes maintenant engagés dans une féroce bataille (…) avec la clique du dalaï, une bataille à mort entre nous et l’ennemi.»

Il en va toujours ainsi. Les régimes totalitaires sont servis par des armées d’opportunistes schizophrènes. De jour, ces gens font des discours dont ils ne croient pas un mot et de nuit, ils rêvent pays de Cocagne, Californie, American dream. Mais au moindre manquement à l’ordre et à la discipline, ils surréagissent. Par crainte d’être mis en cause par le chef de l’étage supérieur.

C’est en raison de la nature même de leur régime que les dirigeants chinois sont en train de perdre le bénéfice médiatique, publicitaire et politique qu’aurait pu leur apporter l’organisation des J.O. Ils auront désormais beau faire: les dupes futures seront consentantes, bassement prostituées à des intérêts égoïstes (une performance sportive) ou économiques (le suivi financier d’une victoire). Car chaque athlète étant citoyen peut décider en toute conscience de participer ou non.

Tout le reste — en premier lieu la prétendue innocence du sportif ou la nécessaire ouverture d’un dialogue pour contribuer à rompre l’isolement des victimes de la dictature — n’est que fadaises, sornettes, poudre de perlimpinpin. Prétextes à masquer la mauvaise foi visant à défendre des intérêts particuliers forcément dérisoires par rapport au sort réservé par Pékin depuis soixante ans aux populations tibétaines.

Mais, dira-t-on, pourquoi mélanger le sport et la politique? Ces deux corps sont parfaitement étrangers l’un à l’autre. Ce sont des vases non communicants. Rien de plus erroné que cette affirmation. Dans nos sociétés, le sport est une composante essentielle de la gestion politique, même s’il est un peu moins militarisé qu’il y a quelques dizaines d’années.

Sans soutien de l’Etat, donc des politiciens, la plupart des disciplines olympiques ne parviendraient pas à atteindre les niveaux de compétitivité qui sont les leurs. Ce qui signifie que l’athlète qui clame dans les médias son indifférence à la politique est au mieux un imbécile, au pis un hypocrite.

On connaît suffisamment la récupération politique des JO par certains Etats, de l’Allemagne nazie en 1936 aux pays communistes pendant la guerre froide, pour ne pas s’appesantir sur ce prétendu apolitisme. Même des groupes ou des individus ont su profiter de la formidable caisse de résonnance qu’offrent les Jeux, que cela soit les sprinters du Black Power à Mexico en 1968 ou la guérilla pro-palestinienne à Munich en 1972.

Et si cette récupération politique n’était après tout que l’autre face de la marchandisation des JO? Car il y a dans les deux cas trahison des idéaux initiaux, perversion de la morale, détournement des objectifs. De confrontation pacifique d’athlètes amateurs, l’esprit olympique est devenu le moteur d’une foire d’empoigne planétaire visant à accumuler un maximum d’argent tout en faisant appel à des sentiments étroitement nationalistes.

D’où les incessants scandales. Et les situations paradoxales qu’ils créent: les gens crient leur dégoût, mais, en même temps, n’arrivent pas à renoncer au spectacle offert. Toujours friand de héros, le public fait mine de croire à des jeux propres et fait taire sa mauvaise conscience en baissant pudiquement les yeux dès que la triche est évidente.

Depuis le temps que ce scandale dure, on pourrait s’attendre à ce que les principaux dirigeants sportifs fassent profil bas. Erreur! Tel Juan A. Samaranch fleurissant sur son tas de fumier franquiste, ils prospèrent et sourient à un avenir forcément radieux tant le taux de croissance du sport mondial est avenant.

C’est assez dire que si les instances du CIO ne sont pas capables d’affirmer un minimum de solidarité humaine à la veille de ce qui pour eux représente la grande fête du sport, il faut au moins les prendre à contre-pied, les mettre face à leurs contradictions. Et frapper là où cela fait mal, au portemonnaie.

On peut penser ce que l’on veut de la cause tibétaine, y voir le combat réactionnaire d’une théocratie obscurantiste ou au contraire la lutte d’un petit peuple pour son indépendance. Une chose est certaine: le comportement du gouvernement chinois est injustifiable, inadmissible, intolérable. Dans ces conditions, le boycottage des JO est une mesure de salubrité publique.

En 1980, au lendemain de l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques, le président Jimmy Carter n’avait pas tergiversé. Adressant un ultimatum au Kremlin exigeant le retrait de l’Armée rouge, il avait annoncé le refus américain de participer aux JO de Moscou en été. Un boycottage largement suivi par les pays occidentaux et les pays arabes.

Cette mesure avait fortement embarrassé le gouvernement soviétique. Mais ce n’est pas une panacée absolue. Il suffit de se souvenir que personne ne boycotta les jeux d’Athènes en 2004 alors qu’à leur tour, les Etats-Unis avaient envahi l’Afghanistan deux ans plus tôt. Il est vrai que les Américains avaient préalablement mis le monde de leur côté en décrétant la chasse aux islamistes. De plus, Athènes jouissait à ce moment-là d’un préjugé favorable, ces Jeux étant censés célébrer le centenaire de la renaissance de la flamme olympique.

En refondateur conséquent, le baron de Coubertin aurait volontiers réinstallé les jeux en Grèce de manière fixe, afin de sauvegarder leur caractère non commercial. Mais découragé par le sous-développement du pays, il s’était rabattu, le temps d’un rêve éphémère, sur sa chère ville de Lausanne, en proposant de la doter d’installations permanentes aptes à accueillir tous les quatre ans les athlètes du monde entier.

L’endroit choisi (des plans existent encore) était superbe: c’était une petite baie sur laquelle donne aujourd’hui la salle de lecture de la bibliothèque universitaire. Avec, sur les rives du Léman, les terrains de sport du campus. Voilà qui aurait évité bien des débats sur la récupération du sport par des puissances politiques peu fréquentables.

Hélas, de ce rêve, il ne reste aujourd’hui, à deux pas, que le siège mondial du CIO.