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Le come-back des camarades

Portée par la crise, la lutte des classes fait un retour inopiné. Et met en crise la social-démocratie. En Allemagne et ailleurs.

La bipolarisation de la vie politique européenne serait-elle morte avant même d’être née? C’est ce que pourrait laisser penser le débat en cours dans la gauche allemande. Les dernières élections régionales y ont en effet placé la social-démocratie face à un cruel dilemme: doit-elle nouer des alliances politiques avec la gauche de la gauche ou persister dans son boycott?

Cette gauche de la gauche qui, là-bas, s’appelle tout simplement Die Linke, est composée de deux tronçons idéologiques très différents. A l’Est du pays, elle regroupe les anciens partisans du SED, le parti communiste de la défunte République démocratique allemande. Un parti réputé pour son stalinisme obtus, ses tendances policières, ses déviances bureaucratiques. Mais capable aussi d’offrir à moindre frais (et pour un travail minime) un confort social qui avait fini par séduire une partie de la population. Près de vingt ans après la chute du régime, force est de constater que ses partisans sont encore nombreux, d’un poids électoral significatif, souvent proche du cinquième de la population.

La composante occidentale des «Linke» est très différente, issue qu’elle est d’une gauche social-démocrate influencée par le syndicalisme. Ce sont les militants qui à la suite d’Oscar Lafontaine, ministre de l’économie de Schröder pendant quelques mois, refusèrent d’accepter la conversion du SPD au libéralisme et décidèrent de rester fidèle au modèle rhénan de développement, avec ce qu’il comporte d’engagement social.

Ces quelques éléments permettent de constater que les «Linke», loin d’être homogènes, sont traversés par des contradictions importantes, porteuses de mésententes inévitables dans le cas où le parti affronterait l’épreuve du pouvoir. C’est avant tout l’anticommunisme de leurs adversaires de gauche et de droite qui leur donne un semblant d’unité.

D’ailleurs leur existence ne troublait pas vraiment le sommeil des politiciens tant que la situation économique était bonne et les relations sociales détendues. C’est la crise rampante (et sa camarade créatrice de miséreux, l’inflation) qui vient de donner aux «Linke» une marge de manœuvre qu’ils n’osaient pas espérer il y a quelques mois à peine.

Le phénomène est archi connu: le SPD empêtré dans des responsabilités gouvernementales partagées avec la droite démocrate-chrétienne est proprement siphonné sur sa gauche. Pour stopper l’hémorragie, il devrait casser la majorité gouvernementale. Sans être pour autant certain de récupérer les voix de gauche. Qu’il s’avise par ailleurs de pactiser avec les «Linke» (comme il a été tenté de le faire en Hesse) et c’est son aile droite qui s’en ira! Dans les deux cas de figure, il reste minoritaire. Donc voué à l’opposition ce qui est contre sa nature et ses aspirations.

Il est évident que le SPD souffre d’une crise de leadership. Schröder n’a pas encore été remplacé et on ne distingue pas parmi les prétendants la personnalité apte à glaner des suffrages sur les franges de l’électorat social-démocrate traditionnel, à sa gauche et à sa droite. Mais cette faiblesse structurelle du parti semble moins importante que les rapports de force politiques.

Comme les autres pays européens (Suisse comprise avec CFF Cargo!) l’Allemagne est en train de redécouvrir la lutte des classes. Les grèves ouvrières y ont pris au cours de l’hiver une ampleur inaccoutumée. La faiblesse du pouvoir d’achat, les menaces diverses pesant sur les acquis sociaux, provoquent un durcissement inattendu des rapports sociaux. Et un renforcement de la gauche dans la mesure où le populisme de droite est en phase cyclique d’épuisement relatif.

Le phénomène est notable en France où Sarkozy est en chute libre. Il le sera sans doute en Italie dans un mois avec le maintien de la gauche arc-en-ciel malgré le dispositif mis en place par Veltroni pour la détruire. Il l’est aussi en Espagne où Zapatero a été réélu pour faire barrage à une droite singulièrement sotte, mais avec une majorité relative qui va le contraindre à nouer des alliances pour gouverner.