CULTURE

Un film suisse s’inspire du sadique de Romont

Le réalisateur vaudois Lionel Baier va porter à l’écran une histoire liée à la terrible affaire du tueur en série. Forcément délicate, sa démarche pose problème, notamment en termes juridiques.

La traumatisante affaire du sadique de Romont va donner lieu à un film. Dans une interview au quotidien Libération, le cinéaste vaudois Lionel Baier parle de son prochain projet de fiction inspiré de l’histoire vraie d’un serial killer suisse, qui représentait lorsqu’il était petit « l’ogre absolu ».

Le réalisateur explique s’être longuement documenté sur le personnage et l’avoir rencontré régulièrement en prison, jusqu’à l’année dernière. L’œuvre, tournée en Italie, devrait relater le parcours d’une victime et sa rencontre avec le tueur.

Alors que les souvenirs des atrocités commises par le criminel sont encore dans toutes les mémoires, un tel projet pose des questions délicates, en termes juridiques notamment. Lionel Baier ne souhaite d’ailleurs pas s’exprimer davantage sur le sujet.

Cependant, si ce type de démarche peut entrer en conflit avec la protection de la personnalité des individus concernés, les auteurs disposent d’une marge de manœuvre importante.

«En règle générale, dans le cas d’une œuvre artistique, la liberté de l’art prime sur les intérêts du délinquant, même si celui-ci a inspiré un personnage présenté de manière négative», souligne Maya Hertig, professeur de droit à l’Université de Genève.

«Il faut toutefois tenir compte du contexte de sortie du film, par exemple s’il coïncide avec une sortie possible du détenu, de même que de la réaction du grand public et de la médiatisation du film. Plus globalement, plus une oeuvre sera perçue par les spectateurs comme une fiction, moins elle entrera en conflit avec la protection de la personnalité et moins la resocialisation du délinquant pourrait être empêchée.»

Bien sûr, l’atteinte à la sphère privée et intime joue aussi pour les victimes et les proches.

La notoriété d’un individu, de même que l’ancienneté des faits incriminés, entrent aussi en ligne de compte.

Pour mémoire, la sanglante vague d’assassinats et de viols perpétrés par le psychopathe romand, homosexuel refoulé, s’étend de 1981 à 1987. Né en 1959 à Neuchâtel dans un milieu modeste, Michel Peiry s’installe à Romont avec sa famille à l’âge de seize ans. Socialement intégré, il effectue un apprentissage de garçon de café, puis travaille dans une fabrique de verre.

Dès la vingtaine, il multiplie les voyages et les meurtres. Le mode opératoire de celui qui deviendra l’un des pires tueurs en série que la Suisse ait connu ne varie pas: il prend des adolescents en autostop, les attache, les viole, les torture, les tue et met le feu à leur cadavre.

Ce n’est que grâce au témoignage d’un jeune Vaudois, rescapé de l’enfer une nuit d’avril de 1987, que le sadique est enfin capturé. Laissé pour mort dans une rivière, il était parvenu à reprendre conscience et à rejoindre un village. Les précieuses informations qu’il fournit à la police permettent d’établir des parallèles avec d’autres cas similaires, notamment celui d’un jeune homme, lui aussi miraculeusement réchappé un an plus tôt.

Au moment de son arrestation quelques jours plus tard, Michel Peiry avoue spontanément plusieurs agressions en Suisse. Il confirmera ensuite d’autres délits, avant de se rétracter, puis d’avouer à nouveau. Finalement déclaré coupable le 31 octobre 1989 du viol et de l’assassinat de quatre adolescents, ainsi que de tentatives de meurtre sur deux autres, il est condamné à la réclusion à vie.

La mémoire de la sauvagerie de ses actes a sans doute contribué, récemment, à l’acceptation de l’initiative sur l’internement à vie des criminels dangereux, mesure par ailleurs non rétroactive, qui ne concerne pas directement Peiry.

Parmi les innombrables personnes directement secouées par ces drames, on trouve évidemment les habitants de Romont, qui souhaiteraient enfin pouvoir tourner cette terrible page. Le film en préparation risque donc d’être vu d’un mauvais œil dans la région.

«Après que la justice ait rendu son verdict, vaut-il la peine de remuer des affaires qui ont marqué tous les esprits?, s’interroge Roger Brodard, syndic du village. Une réflexion pour tenter d’aider les personnes sujettes à des déviances sexuelles apporterait peut-être davantage que de rouvrir des blessures douloureuses tant pour les auteurs que pour les victimes.»

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 6 mars 2008.