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Un nouvel espoir dans lutte contre la malaria

Près de 300 millions de malades, 1 million de décès par an. La malaria, aussi appelée paludisme, est la maladie parasitaire la plus répandue au monde — l’ennemi public numéro 1 des zones tropicales. Si des traitements curatifs existent, les chercheurs du monde entier échouent encore et toujours à élaborer un vaccin.

Une étude, menée dans un laboratoire de l’Université de Lausanne et publiée cet été dans la revue spécialisée Plos One, pourrait changer la donne. L’équipe du professeur Giampietro Corradin du département de biochimie est parvenue à isoler et à synthétiser en moins de deux mois une centaine de candidats vaccins contre la maladie.

«Nous avons choisi de cibler des fragments de protéines du parasite — des peptides — bénéficiant d’une structure particulière en forme d’hélices entremêlées (structure ?-helical coiled-coil). Ils présentent l’intérêt de rester très stables au cours du cycle parasitaire», explique le professeur Corradin.

En effet, le principal problème pour l’élaboration d’un vaccin contre le parasite paludéen est la multiplicité des formes qu’il prend et que prennent ses protéines durant sa vie. Le parasite est d’abord présent dans les glandes salivaires d’un moustique, l’anophèle. Puis, suite à une piqûre, il pénètre le corps humain. Il circule alors dans les vaisseaux pour rejoindre le foie, où il se multiplie de manière asexuée.

Quand il se libère de l’organe hépatique, il retourne dans le sang infecter et détruire les globules rouges, provoquant la maladie. «A chacune de ces étapes, il a des formes différentes. Pire, ses protéines sont polymorphes à l’intérieur d’un même stade», explique Giampietro Corradin.

Afin de contourner cette difficulté, il fallait donc trouver un segment constant de protéines, et s’en servir pour développer un vaccin. Grâce à la bioinformatique, son équipe a identifié des fragments de protéines du parasite, lorsqu’il est dans le sang, présentant une hélice comparable à celle de l’ADN (mais avec trois brins).

«Ces hélices sont connues pour garder une structure constante, quelle que soit la forme globale de la protéine», indique Giampietro Corradin.

L’équipe a synthétisé chimiquement une centaine de ces peptides. Résultat: sur 18 testés in vitro, une dizaine s’avèrent être la cible d’anticorps capables d’inhiber la croissance du parasite.

Dans le corps humain, la réaction devrait être la même. «On espère qu’après inoculation de l’un de ces peptides, l’organisme se mettra à synthétiser des anticorps spécifiques, explique Giampietro Corradin. En cas d’infection par le parasite de la malaria, ces anticorps détruiraient les globules rouges infectés, et tueraient par conséquent le parasite.»

Cette possibilité ouvre la voie à des tests in vivo sur des volontaires. «Nous sommes prêts à débuter la phase I du développement d’un vaccin», précise le professeur Corradin.

Problème: ces recherches coûtent cher. Près d’un million et demi de francs. «Même si les choses se sont améliorées depuis quelques années, avec notamment la fondation de Melinda et Bill Gates, il est toujours difficile de trouver ce genre de financements, rapporte Giampietro Corradin. Nous sommes actuellement en discussion avec le Malaria Vaccine Institute (lire dessous, ndlr) et nous allons également envoyer notre dossier à la Commission européenne.»

En attendant une réponse positive, Giampietro Corradin et son équipe tentent d’identifier d’autres candidats vaccins.

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«Le paludisme est une maladie de pauvres»

Quatre questions au docteur Christian Loucq, directeur du Malaria Vaccine Initiative (MVI) à Seattle (Etats-Unis). Ce programme mondial a pour objectif d’accélérer le développement de candidats vaccins et d’assurer leur diffusion dans les pays en développement.

Pourquoi est-il si difficile de créer un vaccin contre la malaria?

Un parasite est un organisme complexe avec un cycle et plusieurs formes. Plasmodium falciparum (le parasite responsable de la malaria, ndlr) a ainsi réussi à survivre depuis de nombreuses années en déjouant les défenses immunitaires humaines. Par ailleurs, la maladie est endémique dans des régions où le marché est très limité, ce qui n’attire pas les investisseurs potentiels. Le paludisme est aujourd’hui une maladie des pauvres.

On a longtemps reproché à l’industrie pharmaceutique de ne pas s’intéresser à cette maladie «peu rentable». Avez-vous l’impression que leur attitude a changé?

Oui, mais il reste encore beaucoup à faire. A ce niveau, notre partenariat avec GlaxoSmithKline est exemplaire. Par ailleurs, d’autres «grands» montrent un intérêt croissant (Sanofi Pasteur) pour la recherche d’un vaccin.

Quels sont les moyens de financement du MVI?

Seul un financement extérieur pouvait devenir le catalyseur d’un tel développement, parce qu’il n’y a pas réellement de marché pour un vaccin contre le paludisme. C’est dans ce but que fut créé MVI en 1999. Nous recevons désormais des fonds de plusieurs sources. Le principal donneur est la Fondation Bill et Melinda Gates. Mais, il y a aussi l’USAID, Exxon Mobile et des donneurs privés.

Quelles avancées thérapeutiques le MVI a-t-il permis?

Un vaccin américain est actuellement testé en phase II de développement et devrait bientôt entrer en phase III. Cette partie du développement très coûteuse sera largement financée par un don de la Fondation Gates. On peut dire que, grâce à ces financements, nous n’avons jamais été aussi près de mettre au point un vaccin contre le paludisme. Nous pouvons désormais raisonnablement espérer une mise sur le marché pour 2020-2025, avec une efficacité de 80%.

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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex de janvier 2008.