Depuis l’intervention de 2002, cette guerre se transforme en cauchemar pour ses acteurs, qu’ils soient envahisseurs ou victimes. Le film «Charlie Wilson’s War» retrace les origines du conflit. Il faut le voir.
Rien ne va plus en Afghanistan. La semaine dernière, le tout puissant secrétaire d’Etat américain à la défense Robert Gates s’en est violemment pris à ses alliés en traitant les Européens d’incapables.
«La plupart des forces européennes, des forces de l’Otan, ne sont pas entraînées pour la contre-insurrection», a-t-il déclaré, avant de s’en prendre nommément au contingent des Pays-Bas. Et de devoir présenter des excuses officielles au gouvernement hollandais trois jours plus tard.
Vous avez envie de savoir comment on en est arrivé là? Ne manquez pas le film de Mike Nichols, «Charlie Wilson’s War», qui sort ces jours-ci. C’est, sous la forme d’une joviale et agréable comédie, l’histoire vraie de la guerre secrète lancée par Washington contre Moscou.
Cela se passe dans les années 1980, l’Afghanistan est alors occupé par les Soviétiques dont les bombardements par hélicoptères sèment la terreur dans le pays aux 3000 vallées.
Baroudeur texan, homme à femmes et à whisky, spécialiste des services secrets, député démocrate au Congrès, Charlie Wilson parvient à convaincre ses confrères d’augmenter massivement les crédits de soutien à la résistance afghane. Cela aboutira à la généreuse distribution de lance-missiles sol-air Stinger qui firent de tels ravages dans l’aviation soviétique qu’en février 1989, Moscou décida de retirer ses troupes après avoir perdu 14’000 hommes et provoqué la mort de plus 1,2 millions d’Afghans, civils pour la plupart, sans compter les millions de réfugiés.
A la fin du film, Charlie Wilson remarque sobrement: «On a commencé par faire du bon boulot, puis, à la fin, on a merdé.» Pourquoi ? Parce qu’après avoir distribué les dollars par centaines de millions (on parle de plus de deux milliards!), le Congrès US refuse un crédit d’un million de dollars pour construire des routes et des écoles. C’est le début de la fin. Et le commencement du drame que l’on vit aujourd’hui.
S’il est une certitude en ce début de l’année 2008, c’est que la deuxième guerre d’Afghanistan est perdue pour l’hétéroclite et vaste coalition que G. W. Bush a mobilisée pour déloger les talibans de Kaboul. Tout ce beau monde est condamné, comme les Soviétiques naguère, à se retirer dans un avenir plus ou moins proche sans gloire aucune, la queue entre les jambes comme des chiens battus.
La cause principale et première de cet échec est inscrite dans l’histoire de l’humanité: on ne peut tenir à distance sous quelque joug que ce soit un peuple fier, primitif, indomptable, gouverné à l’interne par un système d’allégeances claniques féodales. Seule une conquête par un voisin serait possible, et encore pour une courte durée.
Pour venir à bout du désordre afghan, il n’y a pas d’autres solutions que de faire entrer le pays dans la modernité. A l’ère des Stingers et des téléphones portables, cela passe par la construction de routes pour sortir les vallées de leur isolement, en brasser les populations et casser les solidarités tribales. Cela suppose aussi la construction d’écoles pour créer des citoyens.
Ce n’est pas du tout ce que sont en train de faire les occupants étrangers en ce moment. Ils sont d’ailleurs si divers que l’on a de la peine à s’y retrouver. J’ai essayé de décortiquer cette invraisemblable toile d’araignée. En voici une vue très partielle, qui mène tout droit à une conclusion: cette guerre-là est vraiment mondialisée.
Corps expéditionnaire principal, l’ISAF est placé sous contrôle de l’OTAN, sur mandat de l’ONU. Depuis le 18 janvier dernier, elle a un nouveau chef, le général David McKiernan, avec environ 40’000 hommes sous ses ordres.
Les Etats-Unis ont de surcroît leur propre contingent, géré de manière autonome par le Pentagone. Sur les 26’000 Américains déployés, une moitié seulement dépend de l’OTAN.
Puis, cerise sur le gâteau, il y a une mission d’aide policière de l’Union européenne.
A cela, il faut encore ajouter les polices privées, les fameux mercenaires contemporains dont on ne connaît ni le nombre, ni l’origine.
L’ONU y déploie par ailleurs une armée de fonctionnaires en principe civils sous le nom global de Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan. De plus, comme il se doit en ces temps propices aux libres entreprises, une myriade d’organisations non-gouvernementales tentent d’aider les gens tout en gagnant leur bifteck.
Dans ce pays de montagnes, les uns sèment des bombes, les autres des dollars. Hommes et femmes meurent sous les bombes et les rivières emportent les dollars. Le seul business qui marche vraiment bien est la culture du pavot. Elle permet aux résistants et talibans de s’armer, aux paysans de survivre. Et aux envahisseurs de soigner leur déprime.
A l’époque, Charlie Wilson ne crachait pas sur la cocaïne. En septembre dernier, c’est de morphine qu’il a eu besoin. Il s’est fait greffer un cœur presque neuf.
