Déjà propriétaire de plusieurs adresses genevoises ultrabranchées, Helen Calle-Lin a ouvert à Berne le restaurant rétro-moderniste où se réunit l’élite politique du pays. Une nouvelle manière de vendre les produits du terroir.
Il est loin le temps où la politique fédérale se nouait dans les tavernes. Dans la nuit du 11 au 12 décembre, c’est au très branché Loetschberg qu’une partie de l’intrigue s’est initiée, avant le final au Bellevue. Portrait d’un lieu qui réconcilie AOC et esprit lounge, à l’initiative d’une Chinoise.
A Berne, la soirée qui précède l’élection d’un conseiller fédéral s’appelle bizarrement «la nuit des longs couteaux», une curieuse référence à un sombre épisode du nazisme, l’assassinat d’une centaine de SA par les SS, fin juin 1934.
En 1983, quand les comploteurs avaient tué la candidature d’une femme socialiste, le conseiller national Daniel Brélaz avait suggéré d’utiliser l’expression «hommes des tavernes», collant mieux à la réalité.
Six législatures plus tard, le périmètre où se concocte la politique nationale est géographiquement le même, mais les enseignes n’exhalent plus le cigare, elles incarnent la branchitude fédérale, mélange d’esprit lounge et de chuchotements entre néo-ténors du Parlement.
Dans la liste des lieux-culte où un politicien doit se faire voir, le Loetschberg, ouvert en automne, s’impose déjà comme un incontournable. Cette cantine à la fois vintage et futuriste — et dont l’aération a été spécialement conçue pour éviter les odeurs de fondue et de raclette — accueille déjà de nombreux parlementaires.
Christophe Darbellay, Géraldine Savary ou Oskar Freysinger y donnent souvent leurs rendez-vous. Le Palais fédéral se situe à 200 mètres. Lors de l’historique soirée du 11 décembre, le président du PDC y a dégusté une assiette valaisanne tout en restant en contact téléphonique avec le chef du groupe PDC, Urs Schwaller. Avant de rejoindre le Bellevue, port ultime des rencontres essentielles.
Derrière ce restaurant bar delikatessen au nom de tunnel se cache une Chinoise, qui s’est donnée pour but de dépoussiérer l’image des vins et des produits du terroir suisse. Helen Calle-Lin est bien connue des Genevois. Elle est la gérante d’établissements nocturnes ultrabranchés dans la ville la plus cosmopolite du pays.
Forte de son succès, elle a décidé de «monter à Berne». En partenariat avec l’association suisse pour la promotion des AOC-IGP et les principaux encaveurs du pays, elle a voulu faire du Lötschberg un lieu attirant consacré aux produits typiquement helvétiques.
Mais la clientèle visée ne se limite pas à l’élite politique. Les initiateurs souhaitent aussi convertir le grand public aux finesses des boissons et des aliments AOC, du sbrinz à l’eau-de-vie de poire du Valais, en passant par le cardon épineux genevois. Le tout dans un décor très recherché: «Nous voulons éviter l’aspect folklorique, explique Helen Calle-Lin. Le mobilier et le décor font surtout référence aux années 50 et 60. C’est aussi un clin d’œil nostalgique à l’imagerie des débuts de la modernité en Suisse.»
Cette approche élégante, qui contraste avec les représentations traditionnelles du terroir helvétique, Helen Calle-Lin la doit à son parcours hétéroclite et mondialisé. Née à Taiwan de parents chinois, elle grandit à New York, puis part à Pékin suivre des études de droit. Elle y rencontre Laurent Lin, son futur mari et partenaire sino-suisse, avec qui elle décide, au début des années 90, de s’installer à Genève.
Après avoir participé activement au mouvement squat genevois, elle travaille au festival de la Bâtie, puis fonde en 1999 Le Comptoir, premier restaurant bar electro-lounge de Genève. Suivront une marque d’habits pour enfants, Mimito, qu’elle crée à la naissance de sa fille, puis le Lola Bar. Passionnée de musique, elle chante aussi dans le groupe de jazz Shanghai Fei et organise depuis sept ans le festival de musique électronique Overground.
La créatrice de 38 ans n’en est donc pas à son coup d’essai. Mais comment s’est-elle transformée en promotrice d’un secteur a priori aussi ringard que celui des AOC? L’histoire du Lötschberg débute avec le cuisant échec des Swiss Wine Bars, soutenus à l’époque par la société Swiss Wine Communications, aujourd’hui tombée en faillite.
Très impliqués dans le projet, les encaveurs valaisans ne s’avouent pas vaincus et demandent à Gilles Besse, œnologue et copropriétaire des caves Jean-René Germanier, de définir un nouveau projet, plus à la page. Il décide alors de faire appel à l’Americano-Chinoise, qui accepte la proposition et commence à transformer l’ancien bar à vin de Berne, spacieux et idéalement situé en centre ville, en nouveau haut lieu des nuits et des après-midi de la capitale fédérale.
«Contrairement au projet précédent, notre objectif est de devenir rentable et non plus d’offrir une simple vitrine, souligne Gilles Besse, par ailleurs ancien saxophoniste du groupe genevois Les Tontons Flingueurs et ami de longue date de la famille Lin. Dans un second temps, nous projetons d’ouvrir un autre restaurant en Suisse, par exemple à Zurich».
Car le vigneron valaisan est conscient du déficit de notoriété des vins suisses, non seulement à l’étranger (seule 1% de la production est destinée à l’exportation), mais aussi et surtout outre-Sarine. «En Suisse alémanique, le vin n’est pas encore un produit culturel dont on est fier, remarque-t-il. C’est notamment pour que cela change que nous avons choisi Berne.»
La municipalité soutient en partie le projet, aux côtés de l’association suisse pour la promotion des AOC-IGP et des 38 principaux encaveurs du pays. L’investissement total s’élève à environ 400’000 francs, une somme bien investie selon Helen Calle-Lin, qui souligne toutefois que la Suisse reste très en retard au niveau international en ce qui concerne la promotion de ses produits nationaux:
«Nous devrions prendre exemple sur la France et l’Italie, qui utilisent depuis longtemps, notamment à New York, leurs restaurants et bars à vins comme des vitrines promotionnelles de leur terroir.»
C’est sûr, les 246 parlementaires, défenseurs officiels de plus de 26 terroirs, vont adorer.
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Un instrument de politique agricole
«La politique des AOC et des IGP n’est pas uniquement un outil juridique, remarque Alexandra Grazioli, conseillère juridique à l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle. Elle est aussi un instrument permettant d’aider la politique agricole à atteindre les objectifs assignés par la population suisse en 1996.» A savoir: le maintien des activités économiques dans les régions rurales et défavorisées, la préservation du paysage, la diversification de l’agriculture et la satisfaction des consommateurs.
Signes de qualité officiels, AOC (Appellations d’origine contrôlée) et IGP (Indications géographiques protégées) garantissent l’authenticité et la saveur de produits ancrés dans une région spécifique et élaborés selon des savoir-faire ancestraux.
Les produits AOC sont entièrement fabriqués dans leur région d’origine, depuis la production de leur matière première jusqu’à leur réalisation finale. Parmi les exemples les plus connus en Suisse romande, on peut citer le Gruyère, la Tête-de-Moine, l’Emmentaler ou le Vacherin fribourgeois. Moins restrictif, le label IGP indique qu’au moins une étape de production a eu lieu dans la région d’origine.
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Lötschberg, Zeughausgasse 16, 3011 Berne. Ouvert tous les jours de 9h-0h (3h30 si soirées DJ)
