KAPITAL

Ruée sur les placements durables

Déjà très prisés par les investisseurs, les fonds écologiques bénéficient de l’envolée des cours du pétrole. Au point de créer une bulle financière verte? Analyse.

Responsabilité, mais aussi profit: de plus en plus de banques proposent aux investisseurs des produits financiers labellisés «durables». Selon une enquête réalisée par la NZZ, près de 4,6 milliards d’euros ont été investis en Europe dans ce secteur au cours des sept premiers mois de l’année, soit 15% du total des placements, contre à peine 0,6% il y a deux ans…

Pour entrer dans la catégorie des investissements socialement responsables (ISR), ces fonds doivent intégrer non seulement l’impératif économique, mais aussi les enjeux écologiques et sociaux. Leur succès constitue une aubaine pour la Suisse. «La place financière suisse a les moyens de jouer un rôle central en matière d’ISR, domaine où elle a été pionnière, avec des premiers fonds spécialisés apparus il y a plus de dix ans», indique César de Brito, gestionnaire de fonds à la banque Lombard Odier Darier Hentsch & Cie.

La demande en ISR dépasse désormais largement l’offre, provoquant l’envol de certaines actions. Assisterait-on à l’apparition d’une «bulle verte» comparable à celle de la Nouvelle Economie?

«Pas exactement, estime César de Brito, car contrairement aux start-up de la Nouvelle Economie, la plupart des entreprises actives aujourd’hui dans le développement durable dégagent un chiffre d’affaires et réalisent des profits. Toutefois, il convient de se méfier des nouveaux entrants, de plus en plus nombreux.» C’est pourquoi il conseille à sa clientèle de se concentrer sur des valeurs situées en amont de la chaîne de valeurs, telles que les machines ou les matières premières.

«Un grand nombre d’entreprises du domaine des énergies renouvelables ont connu une évolution positive de leur volume d’affaires et dégagent des bénéfices, remarque Tatjana Domke, porte-parole de l’UBS. Certes, ces entreprises profitent du soutien politique qui s’est renforcé suite au débat sur le changement climatique. Il est donc évident que si ce soutien venait à s’affaiblir, des baisses des cours seraient probables.»

L’intervention étatique est particulièrement marquée en Allemagne. «Avec des sociétés comme Solarworld ou Q-Cells, les Allemands jouent un rôle de leaders mondiaux, notamment grâce aux larges subventions consenties par les autorités publiques», remarque César de Brito. Une voie industrielle qui ne pourrait pas être suivie en Suisse, estime le gestionnaire. Car si le pays excelle en matière de finance écologique, sa topographie montagneuse et son faible taux d’ensoleillement ne lui permettent pas de rivaliser industriellement avec ses grands voisins.

Un rapide regard sur le marché rend compte d’une grande diversité de l’offre en matière de fonds ISR. La banque LODH propose aux investisseurs privés plusieurs fonds spécialisés. Pictet & Cie gère un fonds conjointement avec la Fondation Ethos. UBS a lancé pour sa part trois fonds ISR, qui excluent des secteurs tels que le nucléaire et les OGM, mais aussi l’armement et le tabac.

Quant au Credit Suisse, son fonds «vert» date de l’année dernière: «Ce produit a pour objectif de réaliser la croissance la plus forte possible en investissant dans des entreprises internationales actives dans les domaines de l’exploration, de la conversion et de la distribution des énergies du futur», indique le gestionnaire Philipp Burger. Parmi les principales positions, on trouve notamment Toyota Motor, leader dans les véhicules hybrides, General Electric, Solarworld ou Q-Cells.

De son côté, la Banque alternative BAS, leader des produits et services en lien avec le développement durable en Suisse, exclut tous les secteurs «néfastes pour l’environnement et l’être humain» et applique des critères environnementaux et sociaux à l’ensemble de ses activités. Particulièrement pointilleux en matière d’ISR, l’établissement basé à Olten privilégie des secteurs tels que l’agriculture biologique, l’habitat écologique ou la production photovoltaïque.

Au-delà de l’aspect éthique, les avantages financiers pour les investisseurs sont évidents. Les indices et les fonds «clean tech» se multiplient aux Etats-Unis et leur cote en bourse ne cesse de croître.

Al Gore l’a bien compris, lui qui a créé dès 2004 Generation Investment Management, une très lucrative firme d’investissement qui se concentre sur les sociétés socialement et écologiquement responsables (LODH vient d’annoncer la conclusion d’un accord de distribution exclusive pour l’Europe continentale des fonds élaborés par cettte firme). Car l’impact financier de phénomènes tels que le changement climatique, la hausse du prix du pétrole ou des questions liées à la santé, à la migration ou à l’employabilité, est désormais reconnu par tous. La problématique du développement durable devient donc peu à peu incontournable dans les processus d’investissements.

«Les ISR ne se réfèrent pas uniquement aux énergies alternatives, il s’agit surtout d’une philosophie, indique Tatjana Domke, de l’UBS. En outre, de plus en plus d’investisseurs s’intéressent à ces placements: nous assistons donc moins à une simple mode qu’à une véritable tendance.»

Ce qui ne doit pas faire oublier la gravité de la situation: «Nous consommons aujourd’hui deux à trois fois plus de pétrole que nous n’en découvrons, dit César de Brito. Dès 2020, les besoins en eau douce pourraient être deux fois plus importants que les ressources dispo­nibles et, dans 30 ans, notre planète aura perdu 40% de ses ressources naturelles.» Dès lors, la finance se doit impérativement d’intégrer la notion de durabilité, si elle compte réaliser des bénéfices sur le long terme.

Pour ce faire, César de Brito propose diverses pistes: «Le soutien de l’Etat est indispensable car, dans un premier temps, les acteurs se dirigent là où se trouvent les subventions. Mais ce n’est pas suffisant, il faut dépasser la conception de marché de niche et aller vers le mainstream. Dans cette optique, il est notamment urgent d’uniformiser la comptabilité internationale afin que celle-ci intègre aussi des valeurs qualitatives.»