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Reportage chez des pionniers de l’autoconstruction

Il ne fait pas chaud en ce matin blême d’automne dans la yourte d’Olivier. Ce partisan d’une vie simple et alternative n’a pas pensé à allumer le poêle de sa tente. Depuis un an et demi qu’il vit dans la campagne genevoise sans eau courante, ni électricité, le jeune homme de 25 ans s’est endurci. Il se douche par exemple à la rivière en contrebas du terrain agricole sur lequel il a élu domicile.

Son ami Yannick, qui loge à côté dans les mêmes conditions, préfère la douche en cabine de fortune: une simple palette de bois et un rideau en osier fixé avec des branchages.

«Je mets une grande marmite d’eau bouillante pendant une vingtaine de minutes dans la cabane. La chaleur qui s’en dégage réchauffe l’abri sur le même mode qu’un sauna», explique-t-il. Ensuite, il verse le contenu dans une outre équipée d’un pommeau qui l’arrose pendant quelques minutes. Pas question pourtant de souiller la rivière: Yannick emploie un savon biodégradable.

«Tous nos gestes tendent à limiter notre impact sur l’environnement», disent-ils.

Récemment, ils se sont offert un petit luxe: un panneau solaire qui leur prodigue deux à trois heures d’autonomie en électricité par jour. De quoi recharger un téléphone portable, écouter un peu de musique et ne pas se marginaliser complètement.

Vivre de manière autonome, sans charge ni loyer: tel était le but d’Olivier et Yannick quand ils ont planté leur yourte. Ils ont suivi en cela l’exemple d’un couple qui s’était installé un peu plus loin sur ce chemin de remaniement près de la frontière française.

Ils ont repéré ce petit bout de terrain non cultivé et ont négocié son occupation avec le vigneron qui le possède, un cousin d’Olivier. Il les a autorisés à s’y fixer en échange de quelques corvées à effectuer dans ses vignes.

Une association qui transporte du matériel scolaire par camion en Mongolie leur a vendu les yourtes qu’elle ramène en Suisse: 5’800 francs la pièce, avec des casiers de rangements pour tout mobilier.

En un après-midi, les deux altermondialistes ont déployé la structure en accordéon faite de bois, de toile et de feutre des deux tentes. Depuis lors, ils vivent en accord avec leur idéologie de décroissance dans un univers qui fait penser à une époque antérieure à la Révolution industrielle.

Horticulteur de formation, Olivier gagne aujourd’hui quelques sous en aidant les paysans de la région, fait de l’élagage, de la taille dans les jardins… «Grâce à mon mode d’habitat, je me sens libéré des contingences matérielles. J’ai du temps pour des activités associatives, ce que ne me permettrait pas un travail à 100% qui paie le loyer.»

Ses loisirs aussi sont en complète contradiction avec ceux de ses contemporains: «Je dresse un âne, je m’occupe d’une petite pépinière, j’aime écouter le vent souffler dans les arbres…» 200 à 300 francs par mois: ce sont les dépenses globales que ce flambeur avoue.

Un idéal de vie romantique qui n’est pas forcément du goût de tout le monde. Un riverain a en effet dénoncé les campeurs à la Police des constructions du canton. Les yourtes occupent un terrain agricole sur lequel il est interdit d’habiter. Malgré le soutien de la commune et de nombreux promeneurs qui ont trouvé l’aventure intéressante, l’avis d’expulsion est tombé: Yannick et Olivier devront déménager au printemps.

Accommoder loi et autoconstruction écologique n’est, on le voit, pas chose aisée. Christophe Lincoln et un ami y sont pourtant parvenus à Montpreveyres (VD). Au prix de quelques concessions. Leur idée: habiter de manière autonome sans dépendre d’un entrepreneur ni d’une banque pour un prêt.

«Nous avons cherché quel type d’habitation nous pouvions construire avec notre budget, nos connaissances et les données climatiques du Jorat», explique Christophe Lincoln. Ils tombent alors sous le charme du zôme, une habitation à facette en forme de losange qui rappelle un diamant taillé. Avantages: le zôme se fabrique en bois et l’assemblage des losanges est autoporteur. Aucun besoin donc de charpente ni de mur au centre de l’édifice.

La mère de Christophe s’enthousiasme rapidement pour le projet et accepte que le zôme soit construit dans le vaste jardin familial. Son ami, dessinateur en bâtiment, trace les plans; le frère de Christophe, menuisier, découpe le bois tandis que Christophe doit s’occuper de l’électricité et des sanitaires, deux métiers qu’il a appris.

L’affaire semble entendue jusqu’au jour où une opposition d’un voisin met le projet en péril. Les deux bâtisseurs apprennent alors que le règlement communal impose deux pans de la maison orientés face à la route de Berne. Impossible dans ce cas d’élever le zôme à facettes circulaire dont ils rêvent. Pour poursuivre leur réalisation, ils changent de structure et optent pour un mur porteur et deux pans principaux plus classiques. La construction ressemble dès lors plus à un petit chalet qu’à un diamant en bois. Mais à l’intérieur on reconnaît encore la géométrie particulière d’origine.

Grâce à l’apport de matériaux de récupération (tuile, bois, cailloux), la maisonnette n’a coûté que 60’000 francs, soit trois fois moins cher qu’une maison traditionnelle selon les claculs de Nicolas qui y habite. Et tout semble nickel.

«Nous voulions atteindre une qualité professionnelle dans l’idée de valoriser ce projet pour fonder par la suite une petite entreprise de construction. L’avantage du zôme, c’est qu’il est extensible à l’infini et on peut toujours y ajouter des modules.» Seuls éléments de cette construction low-budget qui ont nécessité l’intervention d’entreprises: la dalle en béton au sol qui stabilise l’édifice et la ferblanterie.

Pour Christophe qui se revendique anarchiste en droite ligne de Proudhon et Bakounine, le logement figure en tête des préoccupations. «Je pense que c’est l’avenir du squat. Les squatters devraient s’assembler en coopérative et acheter des bouts de terrains pour construire leur logement.»

Dans le Jura, ce type d’organisation est déjà une réalité. Jacques Froidevaux, 51 ans, est l’un des pères fondateurs de l’association-communauté Epidaure dont les activités sont essentiellement liées à l’écologie et à l’accueil de jeunes délinquants. Epidaure possède plusieurs domaines agricoles répartis dans des hameaux autour de St-Ursanne qui forment l’écovillage du Clos du Doubs. Sur l’un de ces domaines, à Essertfallon, l’agriculteur a décidé de construire une maison en paille avec l’aide des membres de son association et des jeunes placés sous son égide.

«Nous voulions bâtir quelque chose de durable avec les matériaux de la région. Nous avons un coin de forêt pour le bois, des pierres et bien sûr de la paille en abondance. C’est une façon de donner du sens aux jeunes que nous hébergeons. Mais la paille n’a pas qu’une valeur symbolique, elle est aussi le meilleur isolant du marché et le moins cher.»

Et les risques d’incendie? «Pour les éviter, la paille doit être très compacte et recouverte de chaux ignifuge.» La ferme ne respecte pas encore toutes les normes en vigueur, ce qui retarde l’achèvement de sa construction. Prévue pour accueillir une quinzaine de personnes, elle contrevient notamment au règlement des terrains agricoles qui stipule une main-d’œuvre plus réduite pour une exploitation de cette taille. Mais Jacques Froidevaux sent que sa région va de plus en plus dans son sens.

«Par le passé, les gens croyaient que les agriculteurs bio se baladaient pieds nus dans leurs écuries. Aujourd’hui les mentalités changent, des agriculteurs traditionnels viennent même de collaborer avec nous et le WWF pour établir une grande zone OQE (ndlr: ordonnance sur la qualité écologique) dans le Jura pour préserver la flore des papillons.»

Mais il n’y a pas que la société qui évolue, Jacques Froidevaux se plaît aussi à reconnaître sa propre mue: «Avant j’étais l’anar du coin, je vivais dans une roulotte et je ne supportais pas que les familles de la communauté loge de manière privative. Désormais, je prône une écologie vivante, plus en prise avec la société.»

Devenir acteur du changement social, montrer des exemples réels et positifs de vie alternative dans le respect de la nature, c’est la nouvelle voie qu’empruntent les pionniers de l’auto ou de l’écoconstruction. Une ouverture remarquable qui pourrait prendre le pas sur une culture squat moribonde à laquelle on peut reprocher entre autres une autonomie qui confine à la réclusion.