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Le Chef prend sa claque

Christoph Blocher aura 71 ans aux prochaines élections. Il est trop vieux pour jouer sur le moyen terme. Quand un personnage charismatique trébuche, son aura s’étiole.

A force de le chercher par des provocations cumulant arrogance et insolence avec l’indécence d’un égocentrisme surdimensionné, Christoph Blocher s’est pris sa claque.

Va-t-il en tirer la leçon? Ce n’est pas son genre. Trop convaincu d’avoir raison contre tous, il va bander son énergie pour développer son pouvoir de nuisance à la tête de son bataillon de blochériens à la triste figure.

Mais quelle importance? On n’évitera pas les escarmouches, les initiatives racistes ou xénophobes, les recours à la grandiloquence patriotique, les appels au peuple: le fait est que politiquement, il est battu sur toute la largeur.

Un homme comme lui ne peut se permettre de reculer. De plus, il est trop vieux pour jouer sur le moyen terme. Aux prochaines élections, il aura septante et un ans. Quand un personnage charismatique trébuche, son aura s’étiole, seules restent dans la lumière ses faiblesses, ses travers, ses défauts. Et la curée ne tarde pas.

D’entendre un homme aussi pondéré que le conseiller national démocrate-chrétien Maurice Chevrier déclarer à la télévision qu’il était soulagé de voir partir un homme «qui sème la chienlit» en dit long sur le fossé qui s’est peu à peu creusé entre le Chef autoproclamé du peuple et les vrais représentants du peuple.

La plupart des politiciens qui se sont succédé devant les caméras avaient d’ailleurs la mine réjouie d’hommes dont la parole est soudain libérée. Comme si, d’être soulagés du poids de Blocher leur donnait une vitalité nouvelle.

Comment en est-on arrivé là? Je pense que fort de ses succès passés, Christoph Blocher a peu à peu, dans les ors du Palais fédéral, perdu le sens des réalités du terrain politique, là où comme simple dirigeant de l’UDC il était redoutable.

Mettons, pour faire simple et vulgaire, qu’à force de faire passer n’importe quelle stupidité, de multiplier les mensonges et les provocations, il s’est dit que si les gens avalaient n’importe quelle connerie, il était possible de les prendre pour des cons.

D’où ces affiches honteuses sur les moutons noirs qui mirent à mal l’image du pays à l’étranger. D’où cette campagne estivale sur le complot plusieurs semaines avant que n’éclate l’affaire Roschacher où chacun put constater que le comploteur n’était autre que Blocher lui-même.

D’où le lancement (peu visible en Suisse romande, contrairement à la Suisse alémanique) de ce livre de trop, «Le principe Blocher», ramassis de stupidités et de lieux communs, dans lequel il étale sa conception du Chef, une conception qui remonte à la formation des sous-offs à la fin des années 1950. Autant dire à l’âge des cavernes. D’où cette manif ridicule à Berne où le Chef de la Justice et de la Police, nous refaisant le coup du pompier pyromane, fomente l’émeute et met la capitale sens dessus dessous.

La liste n’est pas exhaustive, loin de là. Dans les médias, ses sbires, les Rime, Perrin, Freysinger, ne cessent de rendre hommage à son bilan de conseiller fédéral alors que chacun sait que sur le plan policier les réductions d’effectifs sont catastrophiques pour le service et que la justice navigue à vue depuis son arrivée à la tête d’un département qui n’a rien à voir avec une usine chimique.

La légère progression de l’UDC aux élections d’octobre due au travail en profondeur de militants qui ont mouillé leur chemise, contrairement à d’autres, nous a caché par effet de trompe-l’œil le rejet qui montait.

Mais les baffes électorales retentissantes prises au second tour par l’UDC à Lausanne, Zurich et Saint-Gall auraient dû déciller les yeux des observateurs qui n’ont rien vu venir, malgré la clairvoyance de Pascal Couchepin qui sut dire au bon moment que la Suisse n’avait pas besoin de «Duce»… J’en suis, je fais mon mea culpa. Non sans me dire qu’on peut parfois prendre du plaisir à s’être trompé.

Reste à rendre un hommage appuyé à Christophe Darbellay qui, en bon démocrate-chrétien valaisan, a su mener à chef (avec minuscule) une cabale du tonnerre de Dieu. Le pays lui en sera éternellement reconnaissant.