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La politique de l’électrochoc

Ils l’ont testé pour vous. A ma droite, tout à ma droite, Christoph Blocher, conseiller fédéral de son état. A ma gauche, dans le portillon d’arrivée, Robert Dziekanski, ouvrier polonais de profession. Evidemment le premier nommé était volontaire, et l’autre un peu moins.

Le chef du département de justice et police a donc testé sur sa robuste personne les effets du taser ou, plus poétiquement dit, du «pistolet à électrochocs». Il a vacillé, certes, le taureau de l’UDC — au haut voltage nul n’est tenu — mais sans perdre la face, grâce à «des policiers qui l’ont soutenu pour qu’il ne se blesse pas en tombant».

Pas de soutien, en revanche, pour Bob le Pollack. L’homme débarquant à l’aéroport de Vancouver a adopté aussitôt le comportement typique de l’émigré mauvais coucheur, habité d’intentions forcément sinistres: «très agité, transpirant, effrayé, épuisé et se parlant à lui-même en polonais». Avant de commettre, comme l’ont raconté gazettes, TV et sites Internet, vidéo à l’appui, le plus odieux des forfaits sur l’échelle du vandalisme contemporain: la destruction d’un ordinateur. Ni une ni deux, un bon coup de Taser policier et Robert s’est calmé tout suite, au point d’entrer dans un repos éternel.

Robert est mort et Christoph bien vivant. Une sorte de match très nul entre partisans et adversaire du Taser. Contre l’avis du Conseil fédéral mais en accord avec les convictions de Blocher, le Conseil national décidait début octobre de déclarer licite l’usage de ce fameux pistolet à électrochocs dans les mesures de contraintes, autrement lors de l’expulsion musclée et forcée de requérants récalcitrants. Une décision qui doit encore être avalisée par le Conseil des Etats. A noter que si le recours aux chiens et aux menottes est autorisé, l’usage du casque intégral et des baillons, ne l’est pas: risque trop important d’entraver les voies respiratoires.

Les opposants au Taser ont beau jeu de rappeler une macabre comptabilité: depuis 2001 aux Etats-Unis, 230 décès sont imputables à ses vertus électrisantes. La gauche, qui adore ce genre de combats symboliques, vous refaisant pour pas cher une âme bien blanche, dégaine tout azimut. La verte Anne-Catherine Ménétrey s’étonne par exemple de cette bénédiction politique octroyée à une arme «formellement interdite pour le bétail». Les ennemis du Taser se cachent aussi dans des bosquets moins convenus. Le chef de la police vaudoise Eric Lehmann, par exemple, veut y voir un engin qui nous emmène «pas loin de la torture».

Certes les dangers du Taser sont avérés sur les personnes «stressées, cardiaques ou sous l’emprise des drogues», presque un portrait-robot là aussi du requérant récalcitrant, tel qu’on le fantasme dans les chaumières du Blocherland. L’affaire n’est pourtant pas si simple. Les partisans du Taser peuvent invoquer des faits tragiques qui l’auraient été un peu moins si l’on avait utilisé le fameux pistolet à décharges. Comme l’a montré la mort récente d’un argovien, étouffé après avoir été plaqué au sol par les forces de l’ordre.

Et puis Blocher, en se laissant électrocuté, a marqué des points, ainsi que le soulignent délicatement certains de ses partisans sur le forum du «Matin»: «Contrairement à ces couilles molles de la gauche qui parlent de sujets dont ils ne comprennent même pas le dixième du potentiel et des enjeux, Blocher est un sage, un exemple à suivre, maintenant il sait de quoi il ressort et il peut parler en toute connaissance de cause.»

Moins risquée sans doute qu’une décharge administrée au Taser, une autre épreuve de force attend Christoph Blocher, le 12 décembre prochain. Malgré le triomphe de l’UDC aux récentes élections, l’idée n’est pas tout à fait morte d’éjecter le trublion nationaliste du Conseil fédéral. Dans un ouvrage collectif dirigé par le socialiste Andreas Gross («Choisir une autre voie- plus de démocratie et de solidarité et moins de Blocher»), une quarantaine de personnalités anti-blochériennes, de Daniel Brelaz à Christophe Darbellay, lancent la fronde. Et affirment que, oui, avec un PDC sans faille — on peut rêver — et des verts libéraux ralliés au complot, la réélection du leader de l’UDC n’est pas encore acquise.

Il est quand même probable qu’à cette électrochoc-là, Blocher survive aussi, sans l’aide même de policiers se précipitant pour le soutenir et l’empêcher de tomber. Il peut en effet compter sur les radicaux, dont la principale fonction, le rôle majeur, taillé sur mesure, face à l’UDC, s’affirme de plus en plus: souteneurs.