GLOCAL

L’affaire Romulus, Rrom roumain de Rome

Un sordide fait divers a provoqué en Italie une levée de boucliers xénophobe sans précédent, jusque dans les rangs de la gauche. Explications, et détails piquants.

Une crise violente sévit entre la Roumanie et l’Italie depuis une quinzaine de jours. A la suite de l’agression meurtrière de la femme (47 ans) d’un officier italien par un jeune émigré à la fin octobre, les polémiques ne cessent d’enfler de part et d’autre. Il faut dire que l’affaire est chargée de symboles. Le meurtrier présumé s’appelle Romulus Mailat (24 ans), c’est un Rrom roumain habitant à Rome. Cela fait beaucoup pour la romanité!

Ce sordide fait divers a provoqué une levée de boucliers raciste et xénophobe sans précédent dans la péninsule. Le gouvernement Prodi dont la popularité est au plus mal a immédiatement promulgué un décret permettant d’expulser des ressortissants de l’Union européenne réputés dangereux sans autre forme de procès, ni de recours. Contradiction flagrante avec les textes de l’UE qui disent que «toute expulsion doit être motivée individuellement et pouvoir faire l’objet d’un recours judiciaire; les expulsions collectives sont interdites». Que Prodi, ancien président européen, en arrive à bafouer ainsi les lois européennes est déjà en soi très inquiétant.

Il y a encore plus fort sur le plan politique: Walter Veltroni, maire de Rome et tout nouveau leader du Parti démocrate, est allé jusqu’à déclarer qu’«avant l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne, Rome était la ville la plus sûre du monde.» Ce qui est faux tant dans le fond que la forme: Rome n’est plus depuis longtemps une ville paisible et les Tsiganes roumains s’y sont déjà installés il y a plus de trois ans quand l’UE avait supprimé les visas.

Inutile de préciser que si la gauche tient de tels discours, la droite surenchérit. L’eurodéputée Alessandra Mussolini, petite-fille de qui l’on sait, allant même jusqu’à traiter tous les Roumains de délinquants et à demander l’expulsion de leur ambassadeur. Or ils ne sont pas loin d’un million à travailler en Italie dans les secteurs les plus divers, des chantiers aux restaurants, dans les hôpitaux comme chez les particuliers.

Du côté roumain, tant la population que les autorités n’ont pas été en reste. Avec cette différence, que la réaction s’est orientée dans trois directions: la honte pour la majorité d’être assimilée à la minorité rrom, le chauvinisme anti-italien et, plus surprenant, une solidarité nationale malgré tout réelle avec les Rroms, le gouvernement décidant de prendre en charge les honoraires d’avocats des expulsés.

Le politicien qui a fait le plus fort est toutefois le ministre des Affaires étrangères, un jeune historien, qui déclara qu’il fallait envoyer ces Tsiganes dans un bataillon disciplinaire dans un désert africain! Pas rassurés, nombre de Roumains qui pensaient passer les Fêtes dans la péninsule ont annulé leurs réservations.

On le voit, le nationalisme le plus primaire est en train de quitter les stades de football (qui souhaite, l’an prochain, un match Italie-Roumanie à Genève?) pour descendre dans les rues. Et la commune appartenance de ces nationalistes à l’Union européenne ne simplifie pas la donne. Il faut noter que Bruxelles n’a pas pour le moment pris la vraie mesure du problème.

Cela n’est guère étonnant: le commissaire à la Justice et aux Affaires intérieures chargé du dossier, Franco Frattini, est un berlusconien pur sucre. Dans un entretien au quotidien romain Il Messaggero, il a évoqué le chiffre de «4’000 à 5’000 expulsions», souhaitant que des fonds correspondants soient prévus dans le budget 2008.

Puis, plus tard, il s’est borné à annoncer une prise de contact dans les jours à venir avec les représentants des quelque huit millions de Rroms européens.

La seule bonne nouvelle dans cette affaire nous vient du parlement européen. En effet, l’internationale des nationalistes a implosé, comme il était dans sa nature, le nationalisme des uns ne pouvant pactiser avec celui des autres. La semaine dernière, le groupe «Identité, tradition, souveraineté» (ITS), présidé par Bruno Gollnisch du Front National, a officiellement cessé d’exister. Ce groupe rassemblait les eurodéputés de l’extrême droite nationaliste. Ne pouvant cohabiter avec Alessandra Mussolini, les cinq eurodéputés du Parti de la Grande Roumanie (PRM) ont démissionné, faisant ainsi passer le groupe sous le seuil fatidique des 20 membres nécessaires.

Dernier détail qui ne manque pas de piquant: la Roumanie s’apprête à élire pour la première fois ses eurodéputés en fin de semaine prochaine, les sortants ayant été désignés par le parlement. Or aucun politicien d’envergure n’a envie d’aller s’enterrer à Strasbourg. Les partis ont eu toutes les peines du monde à trouver des candidats malgré les salaires et indemnités versés par l’UE. C’est que le vrai business se passe à Bucarest et qu’en ces temps d’accumulation rapide de fortunes colossales, il ne faut pas trop s’éloigner de la poule aux œufs d’or.

Il y a là, dans cet usage mafieux de l’Etat, une vraie parenté avec l’Italie qui dépasse de loin l’antique fraternité romaine symbolisée par la Colonne trajane.