Tandis qu’une association de citoyens réclame l’accès pour tous aux rives du lac, un géant pharmaceutique se met à financer la recherche publique. Un prêté pour un rendu et des frontières de plus en plus floues.
Il s’en passe des choses au bord du Léman. D’abord, on y annonce l’arrivée du jeune prodige de la F1, l’Anglais Lewis Hamilton.
Pas de quoi s’émouvoir ni danser la gigue: le pilote de McLaren ne fait que perpétuer une vieille tradition et grossir une longue liste, les producteurs de décibels publics semblant goûter particulièrement, dans le privé, les bienfaits feutrés du calme et du silence.
Avant lui, il y eut Jo Bonnier, Jochen Rindt, Jackie Stewart, Alain Prost et bien sûr le célèbre ailier gauche du FC Echichens, Michael Schumacher.
Promis juré, la modestie de la pression fiscale sur ces rives n’a rien à voir avec l’engouement de nos pilotes pour le bleu Léman. Non, c’est vraiment la tranquillité et l’anonymat qu’ils viennent y chercher. Fuir en somme la pression du public. On peut le comprendre: à 22 ans, Hamilton, en Angleterre, a déjà une rue à son nom, ce qui lui ne sert pas à grand chose puisque que dans cette rue, comme dans les autres, il n’ose plus faire un pas, notoriété oblige.
Le voilà donc qui opte pour cette région lémanique où vous pouvez vous appeler Chaplin, James Bond, Delon, sans qu’on songe à vous demander même l’heure.
Sauf qu’il y a peut-être comme un os. Ce public si respectueux des célébrités et des grands de ce monde commence à se révolter. Oui, même au bord du Léman, surtout au bord du Léman. L’association Rives Publiques, emmenée par un teigneux ressortissant de Mies, Victor Von Wartburg, somme les autorités fédérales, cantonales et communales d’appliquer la loi qui semble (mais c’est affaire d’interprétation) définir les rives des lacs et rivières comme des espaces totalement publics.
Comme, en plus de ce flou juridique, l’application des différentes directives est laissée au bon vouloir des communes, le résultat est celui que l’on connaît: un bord de lac largement confisqué et clôturé par de grandes propriétés privées. Les syndics et autres importants personnages locaux n’allaient quand même pas se fâcher avec des propriétaires qui sont, souvent, de gros, très gros contribuables.
Mais voilà, Astérix von Wartburg n’en démord pas: «La confiscation par des privés d’un bien appartenant à la population dure maintenant depuis plus de 100 ans, ça suffit!»
Si l’on en croit un coup de sonde du quotidien 24 Heures auprès de ses lecteurs, ce cher public lémanique d’ordinaire si accommodant et discret semble cette fois prêt à suivre von Wartburg dans sa révolte des sans-pontons. Un public qui, à 87%, s’affirme convaincu que les rives, toutes les rives, doivent être accessibles à tous.
«Honte aux municipalités qui protègent ces nantis!» s’exclame ainsi Michel Oggier, de Renens. «On aime mieux s’aliéner la sympathie du petit peuple que des grosses fortunes qui s’approprient les rives», renchérit Raymond Joran, de Rolle.
A l’inverse pourtant, et toujours sur les bords enchanteurs du Léman, un match du même genre semble plutôt tourner en faveur du privé contre le public. L’EPFL, en pleine vague de fundraising, vient de décrocher près de 30 millions de la part du géant pharmaceutique Merck Serono. Un pactole affecté à la recherche, au moment même où l’UDC, parti désormais à gros bataillons mais toujours à courte vue, réclame d’amputer sérieusement la part du budget fédéral dévolue au Fond national de la recherche.
Même les plus méfiants, qui pourraient soupçonner une recherche sponsorisée par des privés d’arriver à des résultats orientés (telle ces études prouvant les bienfaits du tabac et financées par l’industrie de la cigarette), oui, même les mauvais esprits s’inclinent devant cette manne. Le député socialiste Jean Christophe Schwaab explique par exemple «qu’on ne va pas refuser un tel apport d’argent, sans quoi il finirait directement à l’étranger».
Les deniers de Merck Serono vont permettre, entre autres, d’engager trois nouveaux professeurs. Tout bénef donc, dans un monde de plus en plus flou où la sphère publique semble curieusement s’élargir à mesure qu’elle diminue. Tout bénef, oui, sauf s’il prend fantaisie aux nouveaux gourous de l’EPFL de réclamer, parmi leurs conditions d’engagement, une résidence pieds dans l’eau.
