On pourrait qualifier Vincent Gallo de narcisse polyvalent. A la fois acteur, peintre, musicien de rock et coverboy pour publicités Calvin Klein, il multiplie les apparitions flatteuses, ce qui lui vaut la réputation de poseur. Mais avant tout, Vincent Gallo est un cinéaste, un vrai et un bon, comme le prouve son premier film, «Buffalo ’66», actuellement à l’affiche à Genève et Lausanne.
«Buffalo ‘66» est une merveille. Un petit bijou. Tout y est ciselé avec tant de tendresse et d’humanité qu’on finit même par pardonner aux imbéciles d’être imbéciles, aux arnaqueurs d’arnaquer et aux parents d’être pathétiques. On pardonne parce que Billy Brown, le personnage principal interprété par Vincent Gallo, pardonne. On pardonne parce que lui, perdu, triste, sans cesse à deux doigts de la catastrophe, obsédé par une vengeance, va finalement décider de ne pas se laisser sombrer…
Billy Brown, donc, doit se trouver une épouse pour aller rendre visite à ses parents. Il vient de purger cinq ans de prison pour un délit qu’il n’a pas commis et, pendant ces cinq ans, il a menti à son père et sa mère, leur faisant croire qu’il s’était marié et qu’il voyageait pour son entreprise. Encore faut-il trouver la femme.
La fausse épouse, ce sera Layla (Christina Ricci, qui enrichit une filmographie déjà impressionnante malgré ses 19 ans, puisqu’on l’a déjà vue dans «La famille Addams», «Pecker» et «Ice Storm», pour ne citer que ceux-là, sans compter une réalisation, «Asylum», encore inédite dans nos contrées). Billy Brown va la kidnapper, par hasard et non par choix, à son cours de claquettes. Toute vêtue et maquillée de bleu, d’abord un peu tête-à-claques puis très vite attendrissante, elle va tomber amoureuse de ce grand enfant perdu aux colères aussi injustifiées que passagères.
L’histoire d’amour se fera un peu à l’arraché entre ces deux personnages en décalage total avec le monde. Billy veut que ses parents l‘aiment, mais eux n’en ont strictement rien à battre. La mère (Angelica Huston, extraordinaire) se passionne pour le foot et le père (Ben Gazzara) vieux crooner dépassé par les événements, préfère tripoter sa belle-fille en catimini. Bienvenue dans la middle-class de banlieue avec son horizon de fast-food et de télévision…
La soirée chez les parents est faite de moments d’ennui absolu et de flash-back de l’enfance, montés en kaléidoscope rapide: une poignée de secondes suffit pour comprendre comment le père a tué le chien de Billy et pour s’émerveiller devant Layla déployant des trésors d’imagination dans le but de sauver la soirée.
Des scènes d’anthologie, «Buffalo ‘66» en regorge: les dix premières minutes déjà, pendant lesquelles Billy cherche des WC publics; la rencontre avec son premier amour platonique, une Rosanna Arquette vulgaire à souhait; le bowling, décidément très cinégénique après «The Big Lebowski»; le rapprochement progressif avec Layla, leur bain commun tout habillés, les «prends-moi dans tes bras» suivis de «touche-moi pas», jusqu’à la fin. Jusqu’à ce que Billy Brown punisse celui qui l’avait envoyé en prison et jusqu’à ce qu’il se décide enfin à retourner voir Layla.
Habitués que nous sommes à un cinéma de faux rebondissements narratifs, on se dit alors que c’est trop tard, qu’elle ne sera plus là. Ouf, raté! Elle est encore là et elle boira le chocolat chaud qu’il est allé lui chercher.
«Buffalo ‘66», c’est en fait une réhabilitation de la simplicité et de la gentillesse, assimilée depuis trop longtemps à la niaiserie. C’est un film qui a l’art de se poser en travers des modes tout en montrant, avec très peu d’images et de mots, un certain nombre de ratages sentimentaux… D’où la tristesse qui imprègne le film, mais une tristesse tout sauf désespérée.
«Buffalo ’66» comporte sans doute une bonne part d’éléments autobiographiques puisque Vincent Gallo est né cette année-là, 1966, à cet endroit-là, Buffalo, petite ville de l’Etat de New York.
Déjà épatant dans «Nénette et Bonni», dans «The Funeral», mais aussi lorsqu’il imitait le Cary Grant de «La mort aux trousses» dans «Arizona Dream» de Kusturica, Vincent Gallo se révèle aujourd‘hui très subtil derrière la caméra, excellent dialoguiste et habile musicien puisqu’il a aussi signé une bonne partie des partitions du film.
Pour tout savoir sur Vincent Gallo, ou presque, on peut consulter ce site qui lui est dédié.
——-
«Buffalo ’66» (1998) de Vincent Gallo, avec Christina Ricci.
——-
Anne Garigio, journaliste, travaille à Zurich.