LATITUDES

Gentleman driver

Nouveau talent de la F1, star adulée en Grande-Bretagne, Lewis Hamilton détonne dans l’univers des Grands Prix, où son charisme et sa disponibilité émerveillent. En tête du championnat du monde, le pilote peut viser le titre dès sa première saison.

Avant même de disputer le moindre Grand Prix, Lewis Hamilton faisait déjà figure d’exception dans le milieu très codifié de la Formule 1.

Le jeune Britannique (22 ans), né en Angleterre d’un père originaire de Trinité et Tobago et d’une mère anglaise, devenait le premier pilote «black» de l’histoire de la F1. Bouffée d’exotisme au coeur des paddocks…

Pour couronner le tout, Hamilton s’installait d’emblée dans le baquet d’une McLaren/Mercedes, l’une des écuries les plus prestigieuses du plateau. S’agissait-il d’un coup de pub ou l’annonce d’un vrai talent?

La réponse a fusé dès le premier Grand Prix (3e place), et plus personne n’évoque aujourd’hui la couleur de peau du jeune prodige. Tout le monde, en revanche, s’extasie sur ses incroyables performances. «Je veux gagner mais il faut être réaliste, pronostiquait pourtant Hamilton avant le début de la saison. Si je peux monter sur le podium cette première année, se serait déjà fou!»

Résultat des courses, après 11 Grands Prix disputés, le jeune coéquipier de l’Espagnol Fernando Alonso, champion du monde en titre, occupe la tête du classement des pilotes (avec pas moins de 10 podiums, dont trois victoires).

Du jamais vu! Car si tous les spécialistes attendaient Hamilton en embuscade, aucun n’avait prédit un tel début de saison. «On savait qu’un jour ou l’autre il prendrait le départ d’un Grand Prix. Mais ce qu’il fait là est tout simplement exceptionnel», reconnaissait le Français Alain Prost, quadruple champion du monde de la discipline, dans Paris Match. A titre de comparaison, l’illustre Ayrton Senna avait remporté son premier succès deux ans seulement après ses débuts en F1.

Elève surdoué, Lewis Hamilton n’a quasiment jamais connu autre chose que le succès. Champion d’Europe et vainqueur de la Coupe du monde de kart en 2000, champion de Formule Renault britannique en 2003, champion de F3 Euroseries en 2005, puis vainqueur du championnat de GP2 – l’ultime marche avant la F1 – en 2006, le pilote britannique a immédiatement confirmé son énorme potentiel une fois arrivé en F1.

De surcroît, il affiche une maturité et un charisme exceptionnel. Et malgré la pression et l’agitation qui règne autour de sa personne, le jeune homme a conservé le calme, la simplicité et le sourire de ses débuts.

«J’essaie toujours de garder la maîtrise de moi. Je me concentre sur mon boulot et c’est tout», disait-il dans Le Matin Dimanche.

«Le plus impressionnant avec Hamilton, c’est qu’il ne commet jamais la moindre faute. Il est vraiment très solide», fait remarquer Nicolas Prost, fils d’Alain, et pilote de course en catégorie GT1. «La confiance qu’il a en lui est vraiment phénoménale. C’est un sacré atout dans ce métier, estime aussi Martin Whitmarsh», directeur général de l’écurie McLaren.

De semaines en semaines, les éloges se multiplient dans le paddock, et jusque chez Williams, où le boss — qui, pourtant, en a vu d’autre — ne cache plus son admiration: «J’ai du mal a lui trouver un défaut, dit ainsi Frank Williams. En fait, je n’ai jamais vu de pilote comme lui auparavant. Et en plus, il est sympa!»

La saga Hamilton, c’est d’abord une histoire de famille. Le père, Anthony, spécialiste en informatique, employé du métro londonien, dépense toutes ses économies pour que son fils puisse piloter.

«J’ai commencé à regarder la F1 à la télé à l’âge de 6 ans, racontait Lewis à la presse anglaise. Mes parents étaient divorcés, je passais mes week-ends avec mon père et on regardait les Grand Prix.» Deux ans plus tard, après avoir remarqué l’extraordinaire coordination de mouvements dont faisait preuve son rejeton avec des voitures télécommandées, Anthony Hamilton décide de l’installer au volant d’un kart.

La suite de l’histoire est déjà légendaire, au point que la recrue de McLaren commence à se lasser de la raconter: «En 1995, à dix ans, je suis devenu le plus jeune champion de kart d’Angleterre. A ce titre, j’ai reçu un prix. Ron Dennis (ndlr: le patron de l’écurie McLaren) était présent et je suis allé demander un autographe. Je lui ai aussi dit que je souhaitais le contacter plus tard, que mon désir était de courir pour lui un jour. Il m’a simplement répondu, ‘Ok, téléphone-moi dans neuf ans. On verra ce qu’on peut faire’.»

Interpellé par le culot et le talent du jeune Hamilton, Ron Dennis n’attendra pas si longtemps. Quelques mois après cet épisode, il prend contact avec son père pour lui proposer son aide.

«Ron Dennis s’est pris d’affection pour Lewis, raconte Alain Prost. Au point que tout le monde pensait qu’il s’agissait de son neveu. Il l’a conseillé, et surtout financé, sans savoir qu’il arriverait un jour à un tel niveau.» En échange de son soutien, le patron de McLaren mettra néanmoins une pression immense sur le jeune Hamilton: l’exigence de résultats, à l’école comme sur la piste.

Douze ans après la première rencontre entre l’élève et son mentor, le bilan a dépassé toutes les attentes. Epoustouflant sur la piste, la recrue de McLaren séduit aussi par sa personnalité. Garçon courtois et poli, doté d’un charme dévastateur, il enflamme les foules au-delà des cercles d’initiés, au point que certains observateurs s’agacent de ne pas trouver de défaut à ce nouveau héros.

En Grande-Bretagne, où Hamilton incarne l’unique espoir de titre mondial depuis Damon Hill en 1996, les audiences TV explosent: les week-ends de Grand Prix, la chaîne ITV enregistre ainsi des audiences qui dépassent les 7 millions de téléspectateurs.

À l’heure actuelle, Hamilton dispose pourtant d’un salaire dérisoire en regard de son coéquipier. Alors que Fernando Alonso touche 42 millions de dollars par an, le nouveau venu se contente du dixième de cette somme. Sur la piste, la rivalité tourne néanmoins à l’avantage du cadet. Depuis quelques semaines, la bonne entente initiale qui régnait entre les deux hommes a d’ailleurs commencé à se détériorer sérieusement rappelant, déjà, les grandes heures des duels Prost – Lauda, puis Prost – Senna, dans la même écurie.

Avant le début de la saison, le vétéran David Coulthard (neuf saisons chez McLaren) promettait pourtant un apprentissage douloureux au protégé de Ron Dennis: «C’est une erreur de le lancer si tôt en F1, écrivait-il dans la chronique qu’il tient dans News of the World. La carrière de Lewis Hamilton pourrait être détruite avant qu’il ait eu la moindre opportunité de se développer. La première personne à laquelle vous êtes comparé est votre coéquipier. Si Lewis supporte mal la comparaison avec Alonso, cela le démolira mentalement.» On en est loin…

Nicolas Prost tente une explication: «Il faut remettre les choses dans leur contexte. Hamilton ne sort pas de nulle part. Il connaît la plupart des circuits pour y avoir roulé en F3 ou en GP2. Et puis, il a toujours été aidé par McLaren qui dispose d’un simulateur extrêmement perfectionné, à 25 millions d’euros, pour l’entraînement des pilotes. Mais il est clair que la rivalité avec Alonso va augmenter de course en course…»

Autre facteur essentiel, la composante psychologique, «80% de la performance d’un pilote», estime Alain Prost. Or, Alonso se plaint de plus en plus de l’encadrement au sein du team britannique, trop favorable à Hamilton, selon l’Espagnol.

Mais peut-être le Britannique tire-t-il sa force de plus loin. Très discret sur sa vie privée (on lui connaît cependant une relation avec une jolie étudiante, Jodia Ma, une chinoise de Hong-Kong), Lewis Hamilton peut cependant parler des heures de son frère Nicholas, handicapé moteur, qui le suit sur tous les circuits.

«C’est dur à dire, mais c’est aussi l’accident de son frère qui le fait courir plus vite», assure Alain Prost, dont le propre frère Daniel est décédé d’une longue maladie en 1986. «Quand on connaît ce genre de chose, on ne voit plus la vie de la même manière. Lewis a une vraie joie de vivre. Il est tout simplement heureux d’être la où il est. Et ça se voit sur la piste.»

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Objectif suisse sur le champion

PAR SYLVAIN MENETREY

A l’occasion d’un shooting pour une marque de montres, le photographe neuchâtelois Joël von Allmen a rencontré Lewis Hamilton. Il raconte à Trajectoire l’enthousiasme du jeune champion en croissance.

«Je sais qu’il n’aime pas qu’on le compare à Tiger Woods, mais j’ai lu quelque chose d’analogue dans ses yeux. J’ai tout de suite deviné qu’il allait tout gagner», confie Joël von Allmen. Le photographe neuchâtelois est bien placé pour porter ce genre de jugement. Il a photographié quelques-uns des sportifs les plus talentueux de la planète pour les campagnes publicitaires des grandes marques horlogères. C’est pour la manufacture de montres de sport Tag Heuer qu’il a rencontré Lewis Hamilton au quartier général de McLaren à Londres en janvier dernier. Un shooting de prestige à plusieurs centaines de milliers de francs qui réunissait aussi le camarade d’écurie du prodige anglais, le champion du monde espagnol Fernando Alonso.

Deux séances en studio de quatre heures avec chacun des protagonistes. Autant dire interdiction de se planter. «Mon âge, mon expérience et mon contact m’aident beaucoup dans ce genre de situation où une pression incroyable repose sur mes épaules», explique le Neuchâtelois de 47 ans. «Parler avec le cœur», tel est sa méthode pour entrer dans l’intimité de ses modèles et révéler la vérité plus fragile de l’homme derrière le masque de champion. Chez Lewis Hamilton, il constate «une politesse, un respect et un plaisir à être photographié non pas narcissique, mais comme faisant partie intégrante de son job de pilote de F1.» Tout l’opposé d’un Fernando Alonso, tendu, transpirant et plutôt mal à l’aise face à l’objectif. «Hamilton possède d’une part l’enthousiasme et la fraîcheur de la jeunesse, d’autre part un sérieux et une minutie de dingue.»

Joël von Allmen s’avoue fier d’avoir photographié le premier coureur de couleur de toute l’histoire de la F1. «Et d’un point de vue esthétique, les peaux noirs réfléchissent mieux les lumières que les blanches. Lewis est vraiment un beau mec. Il a une plastique étonnante: son visage, son nez et sa bouche sont extraordinaires.»

Question beauté, le photographe n’en est pas à son galop d’essai. Il a déjà immortalisé les portraits de la super-modèle Eva Herzigova et des actrices Uma Thurman, Maggie Cheung et Gong Li. «Photographier des personnalités a redynamisé ma pratique du métier, j’en avais marre des mannequins.» Il apprécie plus que tout capter «l’instant magique», cette petite particule de seconde durant laquelle lumière, regard et expression se conjuguent pour livrer la vérité d’un personnage. Un miracle à débusquer à l’intérieur du strict cahier des charges de la communication qui exige des modèles reconnaissables et déterminés plutôt que souriants, des photos studios et une équipe qui, selon les shootings, peut compter jusqu’à une vingtaine de personnes. Joël von Allmen ne se plaint pas de cette machinerie lourde. Au contraire, la démesure aiguillonne ce fanatique de l’image.

A peine marche-t-il qu’il joue déjà avec l’appareil de son grand-père. A dix ans, il s’exerce avec sa première chambre noire, s’enthousiasme pour la prise de vue puis le traitement d’images. Motivation supplémentaire: lors d’un atelier photographique, ses clichés de poupées pendues à des hameçons gagnent le prix de l’école. Son certificat en poche, il entame sans se poser trop de questions un apprentissage de photographe, mais les photos-passeport et les reproductions de médailles ont tôt fait de le lasser.

Après un passage à Boston — où il confectionne des voiles de compétition pendant quatre mois –, le Neuchâtelois retrouve les rivages neuchâtelois et du même coup ceux de la photographie qu’il pratique alors en indépendant. De publicités pour des boîtes de thon en photos d’œuvres d’art, il gagne – péniblement – sa vie. Mais le destin lui sourit au début des années 80, un jour qu’il vogue sur le lac de Neuchâtel. «On m’a proposé par l’intermédiaire d’un vieil ami de photographier des montres Omega. J’ai mis un pied dans l’univers horloger ce jour-là et je ne l’ai plus jamais quitté.»

Rapidement il devient le chouchou des marques de montres qui adorent valoriser leurs produits avec son style à la fois épuré et léché. Une «patte» qui rappelle le photographe américain Richard Avedon, l’un de ses modèles aux côtés de Robert Mapplethorpe.

Il rapatrie à Neuchâtel de nombreux contrats auparavant délocalisés à Paris ou à Londres, faute de moyens techniques dans la région. Installée dans un ancien site industriel Suchard à deux pas du lac, son entreprise d’une douzaine de personnes génère un chiffre d’affaires de plusieurs millions de francs par année. Prises de vue, graphisme, retouche, la création converge toute entière vers le glamour, la précision et la performance. Des mots qu’on pourrait aussi attribuer au rookie Lewis Hamilton. Parfois, les trajectoires des champions se croisent.

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Le retour de McLaren

McLaren, l’une des écuries les plus prestigieuses et les plus emblématiques de l’histoire de la Formule 1. Sa domination outrageuse, dans les années 80, est encore dans toutes les mémoires. L’arrivée aux commandes de Ron Dennis coïncide à cette époque avec celle de nouveaux ingénieurs et motoristes (Porsche de 1984 à 1987, puis Honda de 1988 à 1992) et, surtout, de pilotes devenus légendaires tels Alain Prost ou Ayrton Senna. Une décennie fastueuse où l’écurie britannique empochera le titre pilote à cinq reprises, avec Niki Lauda en 1984, Prost en 1985, 1986, et 1989, et Senna en 1988, année où le brésilien rejoint l’équipe avec, à la clé, 15 courses remportée par le fameux duo sur les 16 que compte alors le championnat.

Les années 90 s’annoncent d’emblée plus difficiles avec la montée en puissance, puis la mainmise, de l’écurie Williams. En 1995, McLaren débute son partenariat avec le géant allemand Mercedes-Benz. Il faut cependant attendre l’année 1998 avant de voir les flèches d’argent, emmenées par David Coulthard et Mika Hakkinen, revenir au premier plan. McLaren s’adjuge le titre constructeur et Hakkinen remporte le championnat, performance qu’il réédite en 1999.
S’ensuit une traversée du désert… Sept longue années marquées par la domination sans partage de Ferrari et de Michael Schumacher.

Côté pilotes, la saison en cours est marquée par l’arrivée du champion du monde en titre Fernando Alonso, transfuge de Renault, et du surprenant Lewis Hamilton, protégé de longue date de Ron Dennis. « Un duo extraordinaire », selon Jacques Deschenaux, qui commente les Grand Prix sur la TSR. «L’expérience Alonso, notamment, a énormément aidé au développement mécanique. L’Espagnol a certainement permis à McLaren de gagner une demie seconde au tour. »

Sur le plan mécanique, les flèches d’argent s’avèrent d’une fiabilité exemplaire, une qualité qui leur avait fait défaut ces dernières années. Et à l’épreuve du chronomètre, la nouvelle monoplace, baptisée MP4-22, domine la concurrence, montant en puissance depuis le début de la saison. McLaren totalise désormais 11 points d’avance sur Ferrari.

La conception de la MP4-22 remonte à décembre 2005, avant même que la voiture précédente, la MP4-21, ait signé ses premiers tours de roues. Durant tout ce temps, l’adaptation aux pneus uniques, fournis par Bridgestone, aura polarisé les recherches des ingénieurs de Woking et Stuttgart. «Lors des saisons précédentes, McLaren a souvent raté ses châssis, relève le journaliste sportif Jacques Deschenaux. Et puis, le binôme formé par Kimi Räikkönen et Pablo Montoya, deux individualistes au pilotage très différent, n’était pas du tout complémentaire.»

En 2005, la MP4-20 s’était montrée la plus rapide, mais pas la plus fiable. En 2006, la MP4-21 avait connu le problème inverse. Avec la MP4-22, McLaren a retrouvé la bonne alchimie.

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Une version de cet article est parue dans le magazine Trajectoire d’automne 2007.