La stratégie du président russe semble claire, à première vue. Mais des zones d’ombre demeurent.
De prime abord, le nouveau coup politique de Vladimir Poutine semble clair comme de l’eau de roche. Ne pouvant constitutionnellement briguer un troisième mandat consécutif, il a, en un premier temps, mis en orbite un successeur potentiel, Viktor Zoubkov, en le propulsant au poste de premier ministre et, du même coup, dans la mire des médias. Ce passage à la tête du gouvernement devrait lui suffire pour acquérir la notoriété suffisante à lui faire gagner la prochaine élection présidentielle.
Dans un deuxième temps, le président annonçait, lundi 1er octobre, devant le congrès de son parti Russie Unie, sa volonté d’en prendre la tête pour la campagne électorale de décembre prochain et de briguer un poste de député dans le nouveau parlement. En annonçant sa disponibilité ultérieure à une charge de chef de gouvernement afin de former un «binôme» efficace avec le prochain président. Un président fantoche, bien sûr.
Il fallait y penser. Bravo le prestidigitateur!
Pourtant à la réflexion, il y a quelque chose qui cloche. Car la solution retenue n’est pas aussi simple qu’elle le paraît. D’une modestie angélique, Poutine précisait lundi que «changer la Constitution pour un seul homme ne serait pas correct». Ce respect de la démocratie l’honore, mais qui y croit vraiment?
Du temps de l’Union soviétique, tous les dirigeants, à commencer par Staline, ont toujours prétendu que la constitution du pays était la plus démocratique du monde. Sur le papier, ce n’était pas faux, mais piétinée quotidiennement par le pouvoir et ses sbires, elle ne fut jamais appliquée.
Dans le contexte politique actuel, personne n’imagine qu’une modification de la constitution permettant la réélection perpétuelle du président aurait changé quelque chose à l’image que la Russie donne au monde depuis huit ans que l’ancien agent du KGB la gouverne. Le cynisme dont il fait preuve dans la conduite des affaires ne fait pas et n’a jamais fait illusion.
Par ailleurs, la constitution d’un tandem gouvernemental — président potiche/premier ministre fort — impose des changements non négligeables. La nouvelle douma devra modifier la législation à commencer par les modalités de désignation du premier ministre. Actuellement, c’est le président qui a ce pouvoir. Il serait surprenant qu’un ancien du KGB cède cette prérogative à un copain, même très proche, même tenu par un possible chantage grâce à des dossiers sulfureux. Il s’agit donc pour la douma (et le parti majoritaire) de reprendre ce pouvoir.
Il faudra aussi modifier les prérogatives du gouvernement et singulièrement du premier ministre. Car dans le régime présidentiel actuellement en vigueur, c’est bien le président qui gère la Défense, la Sécurité, les Affaires étrangères, l’Intérieur. C’est lui qui signe les décrets, veille à leur application, reçoit les hôtes de marque, participe aux sommets internationaux.
Vous le voyez, tels les duettistes Chirac et Jospin, parcourir le monde à l’ombre de son double? De surcroît, dans un pays où le Kremlin possède une énorme charge symbolique, Poutine devrait abandonner ses bureaux pour ceux du gouvernement.
Tout cela pour revenir en arrière dans deux, trois ou quatre ans afin de donner l’opportunité à Poutine de se faire réélire à la présidence pour deux périodes de quatre ans comme le prétend la rumeur internationale? Cela ne tient pas la route. Une légère modification de la constitution eût été infiniment plus simple. Il faut donc chercher ailleurs, mais où?
L’évolution de la situation et des rapports de force politique au cours des six prochains mois devrait (peut-être) nous éclairer. Pour le moment, une conclusion s’impose: comme au temps de l’Union soviétique, la politique russe est devenue d’une opacité impénétrable.
