Etudiante maraîchère à Veyras (VS), Elise Favre organise depuis plusieurs années des actions ponctuelles dans les soirées pour lutter contre le machisme. Elle a fondé un mouvement activiste qui ne craint pas la provocation.
Agricultrice? Actrice? Militante écologiste ou encore activiste anti-machisme? Elise Favre, 19 ans, ne sait pas encore très bien quelle voie privilégier. Mais ce qui est certain, c’est que la jeune Valaisanne ne rêve pas d’un destin à la Barbie. S’il fallait choisir un modèle, ce serait plutôt la rappeuse américaine Missy Elliott qui a su s’imposer dans le milieu du hip hop sans mettre son physique en avant.
En attendant la gloire, Elise mène conjointement études de maraîchère, castings de films, collaboration à une association pour l’agriculture de proximité et une activité plus surprenante: l’animation d’un groupe qui lutte contre le culte exclusif du sexe et du physique parfait. Son credo: «Les filles feraient mieux de vendre leur beauté intérieure plutôt que de dévoiler leur corps. Elles pensent que la provocation sert à mieux se faire accepter, alors qu’en réalité elle dessert la condition féminine en général. On ne se pavane pas à l’école ou en soirée comme, excusez-moi l’expression, quand on fait le trottoir.» Et de déclarer tout de go: «Nous voyons grand. Nous voulons lancer un véritable mouvement, un nouveau mode de pensée.» Voilà l’affaire.
Il y a cinq ans, Elise et sa copine Tiffany Richard – seulement 13 ans à l’époque – tiennent encore les garçons pour seuls responsables du machisme ambiant. Il faut dire qu’elles fréquentent surtout les soirées reggae et hip-hop, des milieux peu connus pour leurs penchants féministes. D’où l’idée de donner aux mâles rétrogrades une leçon qui les fasse réfléchir à leur façon de traiter les femmes. Quitte à employer la franche provocation: «Dans les soirées, nous demandions aux garçons s’ils acceptaient de se prostituer pour des filles. Nous jouions les maquerelles, eux les gigolos et certaines copines les clientes.» Bien entendu, le jeu ne va pas plus loin: «Il s’agissait de susciter un choc en inversant les rôles et les comportements par rapport à ce qui se passe symboliquement dans les soirées. Cette action visait à amorcer une discussion avec les garçons sur ces questions du statut de la femme.»
Les réactions à ce coup de force? «Certains mecs l’ont pris de manière très positive. D’autres se sont senti atteint dans leur virilité.» Les deux filles lancent alors leur mouvement, baptisé ironiquement RDPM (Réseau De Prostitution Masculine). Elles interviennent dans les soirées de leur région et du canton de Vaud et vont pincer les fesses des garçons pour combattre cette pratique masculine peu élégante.
La multiplication des problèmes d’anorexie dans leur entourage, la récurrence des clips sexistes et des campagnes publicitaires dégradantes qui affichent des filles réduites à un simple objet sexuel raffermissent leur engagement: «Nous avons vraiment pris conscience du mal-être de la femme. Alors qu’on exige qu’elle soit belle et parfaite en toute circonstance, un homme peut se permettre d’être gros et négligé. C’est injuste et nous voulons que cela change.»
Concentré à ses débuts sur les travers masculins, le RDPM décide il y a trois ans de s’en prendre aussi aux femmes. Le mouvement part en croisade contre l’acceptation passive de la dictature de la beauté et du sexe. Elles partent à la récolte de signatures. Les filles sont invitées à apposer leur paraphe au bas d’une charte dans laquelle elles promettent de donner une image digne d’elles-mêmes. A l’instar des garçons qui doivent prouver par le biais de questions et de mise en situation qu’ils ne sont pas misogynes. «Fille ou garçon, le questionnaire n’est pas très poussé pour l’instant car la centaine de membres passifs appartient grosso modo à notre groupe d’amis», précise Elise.
Prochaine étape: le groupe sera bientôt doté d’un site internet avec un test complet à remplir en ligne. Le RDPM, désormais baptisé RDPM Family, promet aussi des soirées et des t-shirts à ses couleurs. Des artistes locaux (musiciens et DJs) ont d’ores et déjà accepté de les porter au cours de leurs performances publiques. Un moyen simple de populariser le combat pour plus de respect envers les filles. Elise compte également sur le soutien de la nouvelle scène du rap français comme le groupe TTC. A première vue misogynes, les textes de ce collectif parisien jouent en réalité sur une ironie proche des méthodes de la RDPM Family.
La jeune fille ne craint pas les paradoxes. C’est MTV qui lui fournit modèles et contre-exemples plutôt que Simone de Beauvoir et le féminisme. Elle voue par exemple de l’admiration à la rappeuse américaine forte en gueule Lil’Kim. «Elle revendique son statut de diva et en joue pour mener les hommes par le bout du nez.» Tout le contraire des muettes pin-up qui apparaissent dans les clips de rappeurs masculins. «Nous cherchons l’égalité entre les sexes, pas la lutte, ni la domination. La RDPM Family n’aurait pas lieu d’être si on croisait des hommes à poil à chaque coin de rue sur les panneaux publicitaires. D’ailleurs nous comptons autant de garçons que de filles dans notre mouvement.» Derrière cette attitude provocatrice se révèle en creux une réalité assez inattendue: celle que l’homme pourrait être l’avenir du féminisme.
