Il aura fallu beaucoup de courage au spécialiste mondial des valves cardiaques, Edwards Lifesciences, pour trouver de nouveaux locaux sur les bords du Léman. «Cela fait déjà deux ans que nous souhaitons partir de Saint-Prex, où nous sommes installés depuis 2000. Nos locaux y sont devenus beaucoup trop étroits et nos équipes sont éparpillées dans trois bâtiments», explique Patrick Verguet, le président européen d’Edwards Lifesciences. «Depuis 2005, nous avons visité une quinzaine de bâtiments, mais aucun ne convenait: ils étaient soit trop petits, soit vétustes, soit trop chers.»
La société américaine n’a jamais pensé à quitter la Suisse, en raison de la stabilité sociale et politique du pays notamment. «Le canton de Vaud nous a très bien accueillis», dit le président de la division européenne, qui ne cache pas que les autorités ont facilité l’implantation d’Edwards Lifesciences grâce à des déductions d’impôts. «Pour attirer des grandes entreprises, nous les aidons à trouver des locaux et nous leur proposons des avantages fiscaux», confirme Michel Conne, le manager Europe du DEV (Développement économique du canton de Vaud).
La firme américaine s’est finalement décidée à faire construire le bâtiment de ses rêves par l’entreprise géné-rale Bernard Nicod, à Nyon. «Nous avions aussi regardé du côté de Zoug et de la Suisse du sud, mais la majorité de nos employés francophones souhaitait rester dans le canton de Vaud», note Patrick Verguet.
Situé à l’entrée de la ville, au Triangle de l’Etraz, le nouveau siège offrira une superficie de 4200 m2, répartis sur huit étages, pour un investissement de 25 millions de francs. Le site devrait ouvrir ses portes en juin 2009. «Nous allons enfin avoir de l’espace», se réjouit Patrick Verguet. Il y avait urgence: en l’an 2000, seulement 7 salariés travaillaient à Saint-Prex. Ils sont 65 aujourd’hui (sur 5700 dans le monde), et 90 personnes de plus sont attendues dès l’année prochaine.
A son ouverture, le site de Nyon devrait ainsi accueillir 150 employés. Une difficulté de plus pour Edwards Lifesciences, qui peine à recruter. «Le marché Suisse ne nous fournit pas assez de cadres supérieurs, souligne Patrick Verguet. Nous sommes obligés d’en chercher partout dans le monde.» Résultat: sur les onze «report directors» qui travaillent à Saint-Prex, un seul a la nationalité suisse. «Aux échelons inférieurs, en revanche, nous employons de nombreux Helvètes qui pourront progresser au sein de l’entreprise», estime le président.
Une telle croissance des effectifs s’explique par les excellents résultats d’Edwards. En 2006, son chiffre d’affaires s’est établi à 1,037 milliard de dollars (1,2 milliard de francs) en progression de 4% sur un an. «En Europe, où le chiffre d’affaires est proche de 300 millions de dollars, nous avons même une croissance à deux chiffres», précise Patrick Verguet.
La bonne santé du spécialiste des valves cardiovasculaires, spin-off du géant américain Baxter, tient notamment à sa stratégie d’investissement dans la recherche et développement (R&D). En 1957, le coïnventeur de la première valve synthétique, Miles «Lowell» Edwards, donnait son nom à l’entreprise. Un demi-siècle plus tard, Edwards Lifesciences consacre 11 à 12% de son chiffre d’affaires à la R&D.
L’entreprise ne s’est pas implantée sur les bords du Léman en raison des laboratoires de l’EPFL, du nombre important de start-up biomédicales ou de la présence des hôpitaux universitaires. «Tout le monde me demande si nous allons travailler avec l’EPFL, remarque Patrick Verguet. Je n’exclus pas une telle collaboration, mais pour le moment rien n’est prévu. Nos principaux centres de recherche se trouvent aux Etats-Unis et en Israël, pas en Suisse.»
Pour sa croissance, la société mise particulièrement sur une nouvelle valve à implantation percutanée très prometteuse, qui devrait sera introduite sur le marché européen à la fin de l’année. Actuellement, environ 300’000 patients sont opérés chaque année dans le monde d’un rétrécissement de la valve aortique. Pour traiter cette maladie, les médecins remplacent l’organe naturel par une valve biosynthétique. Mais, on estime que 90’000 patients ne peuvent pas subir cette intervention à coeur ouvert, en raison de leur grand âge (généralement plus de 80 ans), d’une détérioration cardiaque ou de l’existence de maladies associées tel le diabète. «Pour ces patients à haut risque, une intervention chirurgicale serait plus dangereuse que de ne rien faire», explique Pierre-Frédéric Keller, chef de service en cardiologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
C’est précisément à eux que la nouvelle valve d’Edwards, baptisée Sapien, s’adresse en premier lieu. La technique de l’entreprise américaine permet d’introduire la valve artificielle sans ouvrir le coeur. La bioprothèse est introduite sous forme fermée dans l’artère fémorale au niveau du bassin. Puis, grâce à un cathéter flexible, elle est poussée jusqu’au coeur. Une fois arrivée à destination, un ballonnet permet de l’ouvrir en lieu et place de la valve aortique malade. Une technologie qui a un prix: entre 20’000 et 25’000 euros la valve, sans parler de l’acte médical.
«C’est une technique très prometteuse, estime Jean-François Mach, chef du service de cardiologie des HUG. Je suis intiment persuadé que d’ici 2 à 5 ans, cela va permettre de soigner de nombreux patients.» Un marché potentiel important donc: «Nous estimons qu’il sera aux alentours d’un milliard de dollars par an», rapporte Patrick Verguet.
Les concurrents d’Edwards Lifesciences ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. L’américain CoreValve, notam-ment, commercialise déjà en Europe une valve semblable. Le modèle d’Edwards, lui, devrait obtenir le label CE qui permettra sa mise sur le marché européen, fin 2007. L’autorisation américaine devrait suivre d’ici 2 à 3 ans.
«Nous avons encore peu de recul par rapport à ces techniques», fait remarquer Pierre-Frédéric Keller. Depuis 2002, date de la première utilisation de la valve, seulement 450 patients ont été traités dans le monde et aucun en Suisse. «Nous n’avons pas un bassin de population suffisant pour mettre en place ce type d’opération, expli- que le cardiologue. Mais nous sommes très intéressés pour développer sur l’arc lémanique un pôle commun pour ce type de patients.»
Par ailleurs, cet acte médical n’est pas à la portée du premier venu: la difficulté principale est d’amener puis de déployer la valve au bon endroit. La priorité d’Edwards Lifesciences est désormais de développer les compétences des praticiens. «Nous formons actuellement des médecins qui seront responsables de la formation de leurs collègues», explique Patrick Verguet. Et dans les locaux de Nyon, c’est dans un auditorium flambant neuf que des chirurgiens et cardiologues de toute l’Europe viendront acquérir les bases théoriques de cette technique.
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Le Léman au centre des technologies médicales
Il n’y a pas de hasard. Si des géants mondiaux comme Edwards Lifesciences, Medtronic ou Beckam Coulter ont choisi d’implanter leur siège européen sur les bords du Léman, ce n’est pas uniquement pour le paysage. «La Suisse a été choisie pour plusieurs raisons, explique-t-on chez Medtronic, notamment pour sa situation au centre de l’Europe, sa réputation de qualité et de précision, et sa tradition humanitaire.» Autre atout: «La proximité des centres avancés de recherche scientifique, en particulier l’EPFL et le CHUV», avec lesquels Medtronic collabore.
Les avantages fiscaux accordés jouent également un rôle de choix. «L’Etat nous a confié comme mandat d’attirer tout particulièrement dans le canton les entreprises qui touchent aux sciences de la vie (biotechnologies, équipements médicaux), aux services et à l’agroalimentaire», rapporte Michel Conne, le manager Europe du DEV (Développement économique du canton de Vaud), organisme semi-public. «Pour faciliter l’implantation de ces entreprises, nous les aidons à créer une société, à trouver une banque, des locaux et nous leur proposons des avantages fiscaux.»
La formation est également louée. «Dans le canton de Vaud, nous pouvons recruter des professionnels de haut niveau, qu’il s’agisse d’ingénieurs ou d’opérateurs pour la production», se réjouit-on chez Medtronic.
Principal bénéficiaire: les start-up biomédicales qui profitent de l’engouement pour les acquisitions dans le secteur. Endoart, société lausannoise, vient ainsi de toucher le gros lot. Fondée en 1998, cette start-up qui développe un anneau gastrique a été rachetée pour 120 millions de francs par le géant Allergan.
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.