CULTURE

Profession: photographe de stars

Virtuose des images, Joël von Allmen fait poser les plus grandes vedettes du sport et du cinéma pour le compte des marques horlogères. Quand il n’est pas à Los Angeles ou New York, il dirige son studio au bord du lac de Neuchâtel.

Joël von Allmen craint toujours de paraître trop prétentieux. Lorsqu’il évoque son travail, il se reprend souvent, remplace un «excellent» par un adjectif moins laudatif. «Il faut être humble dans ce métier, ne pas prendre la grosse tête, mais ne pas se cacher non plus de ce qu’on veut être.» C’est-à-dire un photographe de stars, virtuose de la communication visuelle.

Les plus belles femmes de la planète, Gong Li, Uma Thurman ou Maggie Cheung, mais aussi les champions Lewis Hamilton et Tiger Woods ont posé face à l’objectif du Neuchâtelois, metteur en image attitré des plus grandes marques horlogères comme Breguet, Chopard et Zenith.

Marié et père de deux enfants, il partage son temps entre son studio au bord du lac de Neuchâtel, où il emploie douze personnes, et Los Angeles, New York, Londres et Paris, d’où il ramène des clichés au chic épuré et très léché, «parfois un peu trop», se plaint-il.

Ses maîtres s’appellent Helmut Newton et Richard Avedon, deux génies qui ont élevé la photographie de mode au rang d’art avec leur style glamour et minimaliste intemporel. A leur image, ce surdoué fouille au-delà de la surface pour dévoiler la vérité de ses modèles. C’est pourquoi il préfère les personnalités avec un supplément d’âme plutôt que les mannequins trop bien castés.

«Je cherche à capter le miracle, un instant magique à l’intérieur d’un carcan imposé par les règles de la communication.»

Pour parvenir à ses fins, Joël von Allmen prépare chaque shooting minutieusement. Il se documente, rencontre son modèle quand cela est possible, tisse des liens avec lui pour toucher au plus près du mystère de sa célébrité.

«Mon âge et mon expérience m’aident beaucoup dans cette phase de mise en confiance, affirme le photographe de 47 ans. Un jeune sorti de l’école serait certainement trop occupé à gérer ses propres émotions.» Sa douceur et son écoute lui valent des gestes touchants de la part des stars qu’il photographie.

«Quand j’ai rencontré Uma Thurman pour la première fois, je lui ai demandé si je pouvais poser à ses côtés et envoyer le cliché à ma mère très malade, ce qu’elle a accepté. Quelques mois plus tard, à New York, ses premières pensées en m’apercevant étaient pour ma mère.»

La sublime mannequin Eva Herzigova l’a pour sa part impressionné par son professionnalisme. «Elle est capable de se focaliser sur l’objectif et trouver une composition en à peine une seconde.»

Leur rencontre semblait pourtant mal embouchée. Après une séance réglementaire de quatre heures de maquillage, la belle a décrété à l’équipe consternée qu’elle avait besoin d’une sieste. «Elle s’est donc allongée sur un canapé et a dormi pendant une demi-heure jusqu’à ce qu’un chat vienne la chatouiller. Alors elle s’est levée en pleine forme et a immédiatement tout donné.»

Pour un shooting à l’étranger, Joël von Allmen emmène toujours ses plus proches collaborateurs, ses «bras droits et bras gauches», tandis que d’autres employés réalisent à Neuchâtel une part moins visible du travail qui consiste à donner vie aux froids modèles de montre qui remplissent les catalogues des marques horlogères. Une véritable gageure étant donné la complexité du matériel, ses transparences, ses reflets et sa rigidité.

Ces différents contrats lui valent des parutions dans le monde entier et un chiffre d’affaire annuel de plusieurs millions. Il appartient à cette génération de Neuchâtelois aux remarquables carrières parmi lesquels on compte ses amis Frédéric Maire, directeur du Festival de Locarno, le comédien Robert Bouvier ou encore Marc-Olivier Wahler, le directeur du Palais de Tokyo à Paris en compagnie duquel il a dirigé le CAN (Centre d’Art de Neuchâtel). Un projet parmi tant d’autres pour ce boulimique d’expériences qui a notamment lancé un concept de soupes ou amélioré la finesse des parapentes, pour toujours revenir à sa passion pour la photographie.

A peine marchait-il qu’il jouait déjà avec l’appareil de son grand-père. A dix ans, il s’exerçait avec sa première chambre noire, s’enthousiasmait pour la prise puis le traitement d’images. Motivation supplémentaire: lors d’un atelier photographique, ses clichés de poupées pendues à des hameçons gagnent le prix de l’école.

Son certificat en poche, il entame sans se poser trop de questions un apprentissage de photographe, mais les photos-passeport et les reproductions de médailles ont tôt fait de le lasser.

Après un passage malheureux par la case Boston — où il confectionne des voiles de compétition pendant quatre mois –, il retrouve les rivages neuchâtelois et du même coup ceux de la photographie qu’il pratique alors en indépendant. De publicités pour des boîtes de thon en photos d’œuvres d’art, il gagne — péniblement — sa vie.

Mais le destin lui sourit au début des années 80, un jour qu’il vogue sur le lac de Neuchâtel. «On m’a proposé par l’intermédiaire d’un vieil ami de photographier des montres pour Omega. J’ai mis un pied dans l’univers horloger ce jour-là et je ne l’ai plus jamais quitté.»

Sa réussite incroyable suscite alors la jalousie de ses collègues. Un presque autodidacte roi de la photo horlogère? Voilà qui met la profession en péril! «J’ai donc étudié pendant un an à l’école de photo de Vevey, juste le temps de consacrer mes connaissances pratiques par un diplôme et ne plus passer pour le voleur de sucreries.»

Il sort premier de sa volée et libéré de la fausse pudeur helvétique. «J’ai rapatrié en Suisse des budgets qui étaient auparavant externalisés à l’étranger, je trouve qu’on devrait m’en savoir gré.» Et un peu de glamour aussi, ce qui ne gâte rien.

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Une version de cet article est parue dans Migros Magazine du 30 juillet 2007.