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Sarkozy, nabab avec l’argent des autres

A la différence de Bush ou Berlusconi, le président français n’est crédité que d’une minable fortune. Alors il se donne des airs de nabab grâce aux yachts et aux résidences de ses amis. Et ça marche: tout le monde parle de lui.

Sarkozy a beau prendre des vacances, se retirer au diable vauvert, prétendre privilégier une vie familiale saine et retirée, il ne décroche toutefois pas de la une des médias. Communiqués et photographies d’ambiance (ah, Rachida sur ce bateau aux côtés du petit Louis!) pleuvent plus continûment encore qu’il ne neige sur la Furka. Tout ou presque l’intéresse. Il a un avis sur presque tout. Quel homme!

Comme la France — malgré le vague à l’âme qu’on lui prête — donne toujours le ton et fixe les tendances, on voit peu à peu se dessiner la figure de l’homme d’Etat du début du XXIe siècle. Il est au-dessus des partis, favorise une méritocratie qui ne demande qu’à devenir oligarchique, gouverne par sondages et médias interposés, veille à ne pas prendre à rebrousse-poil les majorités dites silencieuses.

Que l’homme soit malin, personne aujourd’hui ne saurait en douter. La manière qu’il a eu de détricoter les oppositions en happant au passage quelques hommes de gauche ou en faisant sourire Le Pen qui, l’autre jour, lui attribuait de nombreux mérites, témoigne d’une grande habileté manœuvrière. Sans qu’il soit un précurseur en la matière: dans le genre, Mitterrand, pour n’en citer qu’un, a fait très fort, à de réitérées reprises.

La nouveauté est ailleurs. Dans la solitude de l’exercice du pouvoir pour commencer, dans le rythme ensuite. On avait déjà subodoré le bonapartisme du personnage, sa capacité à se croire le seul apte à prendre les bonnes décisions et la détermination avec laquelle il les impose.

Plus qu’à de Gaulle, c’est en effet au jeune Bonaparte qu’il fait penser. A l’homme qui, ensablé avec ses armées dans le désert égyptien, ne craint pas de tout plaquer pour rentrer en France se saisir du levier de commande. A l’homme qui fait semblant de lambiner alors qu’il prépare son armée de réserve pour fondre sur l’Italie.

Le rythme aussi est bonapartiste. Tout faire en même temps, dans tous les domaines. Exiger de son corps et de sa tête une présence de tous les instants qui se transforme en omniprésence, omniscience, omnipotence. Réussir ce défi en un temps où l’information circule à une telle rapidité relève du tour de passe-passe.

Autre nouveauté: le dévoiement du berlusconisme. Comme son modèle italien, Sarkozy a compris que le peuple veut du pipeule, que dans ce temps qui porte l’égoïsme et la réussite individuelle au pinacle, il n’est pas possible de régner sans satisfaire ces instincts-là. Mais alors que W. Bush (ou les Kennedy avant lui) s’appuie sur un héritage dynastique, alors que Berlusconi met à contribution son immense fortune personnelle, Sarkozy joue avec l’argent des autres.

Crédité d’une minable fortune de deux millions d’euros, il ne peut pas acheter les médias qui vont l’encenser. Il ne peut pas non plus soutenir un train de vie de nabab. Alors, comme le coucou, il se glisse dans le lit des autres, qu’ils soient dans des yachts ou des résidences fastueuses. Il se donne des airs de nabab. Et ça marche: tout le monde parle de lui.

Pour faire du berlusconisme sans argent, il faut en avoir analysé les mécanismes depuis longtemps. Sarkozy a pris le sien: n’était-il pas l’avocat de Sua Emittenza dans les années 1980, à l’époque où le magnat italien s’est cassé les dents sur la Cinq, télévision défunte? Il est des échecs qui ne sont pas inutiles.

Le vrai problème du nouveau président français tient vraiment à son manque de liquidités. S’il a trouvé le moyen — les amis — qui le sauvent pour de luxueuses bricoles bien médiatisées, il n’a pas sous son contrôle un Etat dont les revenus lui permettraient de tenir, au niveau international, un discours à la hauteur de ses ambitions planétaires.

Comme il s’est fait une spécialité du débauchage des personnalités compétentes, nous sera-t-il pardonné de lui faire une suggestion? Que n’engage-t-il notre cher Hans-Rudolf Merz?

Voici un homme efficace, qui ne fait de l’ombre à personne et qui, depuis des années électorales ou pas, engrange des milliards. Son dernier coup? Faire passer de 900 millions à 3,4 milliards de francs le bénéfice de la Confédération pour l’année en cours.

Propulsé au ministère de la Prospective et de l’évaluation des politiques publiques à la place de ce pâlot d’Eric Besson, notre Merz national ferait sans doute des prodiges. Il donnerait à Sarko les moyens de sermonner le monde entier. Et nous permettrait à nous de suivre la mode en vivant à crédit.