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Attention ralentissement

Entre Lausanne et Genève, le trafic bouchonne sur tous les axes. Les troisièmes voies, aussi bien ferroviaire qu’autoroutière, sont en attente de soutien politique, les Romands ayant mal défendu leur bifteck jusque ici.

Sur la route comme les rails, entre Lausanne et Genève, le trafic ne cesse d’augmenter. L’autoroute à deux pistes voit désormais passer entre 60’000 et 80’000 véhicules par jour (quatre fois plus qu’en 1970), alors qu’à partir d’une densité de moitié, soit 40’000 véhicules quotidiens, nos voisins français construisent une troisième voie. Entre Lausanne et Genève, on s’accommode des ralentissements et bouchons, qui font partie des clichés de la région.

Et ce n’est qu’un début, si l’on en croit les prévisions de l’Office fédéral des routes: la moyenne quotidienne continue d’augmenter de 2000 véhicules par an. D’ici à 2030, le taux de charge aux heures de pointe atteindra 80 à 100% sur l’ensemble du tronçon, l’équivalent d’un bouchon permanent.

«De quoi nous faire regretter la situation actuelle, ironise Patrick Eperon, chef politique du TCS. Autant dire qu’il est urgent que les politiques romands se mobilisent pour que le fonds d’infrastructure Dopo Avanti de 5,5 milliards de francs, prévu pour 2008, ne finissent pas dans la ceinture zurichoise. Rien n’est encore attribué et la bataille sera rude. Et si nos représentants se réveillent aussi tard que pour la troisième voie ferroviaire, on peut craindre le pire. D’autant qu’en matière automobile, il y a un déni de réalité de la part des gouvernements et des parlementaires vaudois et genevois: pour des raisons idéologiques, on refuse de voir la croissance du trafic, en espérant un hypothétique transfert vers le rail qui ne s’opère pourtant pas.»

Du côté du train, on le sait, on est aussi arrivé à saturation. Entre 7h et 8h au départ de Lausanne, on compte deux InterCity, deux InterRegio (arrêt Morges et Nyon), deux RegioExpress (arrêts Morges, Rolle, Nyon, Versoix), plusieurs convois régionaux Lausanne-Allaman, alors qu’un ICN emprunte la voie provenant d’Yverdon (avec arrêts à Morges et Nyon).

Petit chef d’œuvre d’optimisation, l’horaire des CFF fait des envieux dans le monde entier, avec ses trains que l’on prend à chaque heure et sans réservation. «Nous sommes fiers de notre réseau ferroviaire, avec raison, constate Xavier Comtesse, directeur romand d’Avenir Suisse. Mais en privilégiant la cadence des horaires et la desserte des régions périphériques, les CFF ont fait le choix de la lenteur: nos trains ralentissent pour assurer les correspondances sur des tronçons où ils pourraient rouler beaucoup plus vite.»

La relative lenteur des trains suisses s’explique en effet par le choix d’une desserte équitable des régions. Contraire au fédéralisme, l’idée d’un TGV sur les axes Bâle-Chiasso et Zurich-Genève, évoquée au début des années 1980, a été rapidement écartée. «Une écrasante majorité de cantons s’y étaient opposés, se souvient le Conseiller aux Etats Michel Béguelin (PS), spécialiste du sujet. La priorité a donc été mise au développement du réseau et à l’optimisation des horaires.» Du coup, sur certaines lignes, dont Lausanne-Berne, le train ralentit afin de garantir les correspondances.

La rapidité d’un trajet ne se calcule pas seulement le long des axes principaux. «La grande vitesse fait sens lorsqu’elle peut concurrencer l’avion court-courrier, dit le Conseiller national vaudois Roger Nordman (PS). Mais que représente un gain de 10 minutes sur un trajet d’une demi-heure entre Lausanne et Genève si l’on doit attendre une correspondance 20 minutes ensuite, ou si l’on veut se rendre au Cern et que le bus met 35 minutes pour y aller depuis la gare?» Les pendulaires le constatent chaque jour. «C’est entre la gare Cornavin, mal aménagée, et la tour de la TSR que je perds le plus de temps», relève Michel Zendali, présentateur d’Infrarouge qui voyage de Lausanne à Genève tous les jours.

Une troisième voie ferroviaire permettrait d’améliorer l’offre avec des cadences plus soutenues, plus régulières aussi. Estimé à 400 millions de francs, le projet bloque cependant à cause du dépassement de budget du tunnel du Gothard. Contrairement aux Neuchâtelois avec leur N5 ou aux Zurichois avec leur réseau ferroviaire urbain, la région Lémanique a fait preuve d’un lobbying défaillant.

Les représentants politiques vaudois et genevois – en particulier les Conseillers d’Etats verts Robert Cramer (GE) et François Marthaler (VD) – ont mal défendu leur bifteck, et d’autres priorités interviennent désormais pour les CFF. «Avant de décider de construire une troisième voie, il faut accélérer la cadence entre Lausanne et Berne, disait récemment, dans Le Temps, Vincent Ducrot, responsable grandes lignes CFF. Nous souhaitons aussi corriger l’anomalie qui voit deux rames ICN se suivre à trois minutes d’intervalle entre Bienne et Yverdon sur la ligne du Pied du Jura.»

L’idée d’un financement externe de la troisième voie, par villes et cantons, voire même privé, a été évoquée, puis celle d’un péage au Gothard permettant de renflouer les caisses. La voie parlementaire semble désormais la plus vraisemblable, même si c’est probablement aussi la plus lente.

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Diagnostic: Les connexions ferroviaires et autoroutières sont saturées sur l’arc lémanique. Les deux projets d’extension sont bloqués.

Responsables: Du côté ferroviaire, les Romands, mal défendus à Berne par leurs représentants, ont subi les restrictions budgétaires. La route, elle, n’a plus la cote auprès des politiques, qui rêvent de transférer le trafic vers le rail.

Solutions: Un lobbying efficace des Romands à Berne. Une plus grande anticipation du politique en matière de mobilité. Considérer le dossier comme prioritaire, sans blocage idéologique.