CULTURE

Tous à Berlin

Clubs, galeries, bonnes adresses et curiosités: notre guide exclusif pour naviguer dans le formidable laboratoire berlinois, où artistes et musiciens affluent de toute l’Europe.

Marielle Jaquier est assistante dans une grande agence d’organisation de défilés de mode à Berlin. Elle a 23 ans. Quand cette Vaudoise a débarqué dans la capitale allemande en 2004 pour suivre des cours de langue, elle ne pensait pas devenir une vraie Berlinerin à longue frange et ballerines.

«Mais le rythme de vie s’est avéré plus cool ici. Et tout me paraît plus accessible qu’ailleurs. Je n’aurais certainement pas survécu dans une autre capitale comme Londres.»

Loyers et nourriture bon marché, espace, verdure, culture et tempo alangui, les mêmes raisons reviennent toujours dans les discours des jeunes exilés berlinois, plus pressés de vivre et d’expérimenter que de gagner leur vie. Selon des chiffres du contrôle des habitants, 4’225 Suisses profitaient au 31 décembre dernier de ces conditions avantageuses.

Le DJ lausannois Liviu Groza, 32 ans, fera partie de cette diaspora dans quelques semaines. Il a choisi de lâcher son poste de journaliste à Lausanne pour tenter l’échappée berlinoise. «J’ai envie de me poser un peu à l’écart pour mettre en œuvre certains projets d’écriture et musicaux que je n’ai pas le temps de développer en Suisse.»

Il compte trouver à Berlin un terreau fertile pour exercer ses talents: «A Berlin, il y a une vraie culture musicale, des magasins de disques et une forte densité de clubs.» Et peu de règles qui entravent bars et boîtes, libres d’ouvrir et de fermer leur établissement à l’heure qui leur chante.

Longtemps barrière infranchissable, la langue n’apparaît plus si barbare. Marielle Jaquier y voit même «un challenge et une motivation supplémentaire». Tandis que les moins germanophiles profitent du cosmopolitisme ambiant pour exercer leur anglais: «C’est très reposant de ne pas comprendre les bêtises qui s’échangent autour de soi», avoue par exemple le designer français Stéphane Barbier-Bouvet, qui travaille dans le bureau du célèbre Jerzy Seymour depuis sa sortie de l’Ecal.

Paradoxalement, l’embellie économique que la ville connaît actuellement avec des chiffres du chômage en légère baisse (-9,7%) en mai dernier par rapport au taux de l’année précédente, menace la singularité berlinoise. Avec l’argent en plus, Berlin court le risque de la «gentrification», qui repoussera artistes et précaires vers un autre exil.

Mais pour l’heure, Berlin reste un bouillonnant laboratoire créatif au centre des nouvelles tendances de la mode, du design, de l’art contemporain, du théâtre et de la musique. Autant de bonnes raisons de s’y rendre, ne serait-ce que pour un week-end.

Promenade artistique dans Berlin

Ville de culture et de plaisirs, Berlin offre moins de monuments que d’ambiances et de lieux très divers, souvent avant-gardistes. On s’y déplace sans encombre, en transports publics et à pied, mais c’est à vélo qu’on capture le mieux ses immensités. En selle donc!

Transport

L’espace s’étire à Berlin comme dans aucune autre grande capitale européenne. Même Londres la tentaculaire peut compter sur un centre moins éclaté. Il en résulte pour le touriste le sentiment frustrant de ne jamais parvenir à tenir un programme de visites. Pour accélérer le mouvement, on conseille donc le vélo, moyen de transport favori des Berlinois qui n’entame jamais les mollets sur ces immensités planes. Les kilomètres de pistes cyclables et les nombreuses possibilités de location pour des sommes modiques rendent de surcroît cette activité vraiment «prima».

Fahradstation, August Str. 29, Mitte.

Hôtel

Ce n’est pas une mince affaire que de dénicher un hôtel de charme à l’Est de la ville. Les meilleures adresses de Berlin logent toujours leurs hôtes dans le quartier cossu, mais ennuyeux et excentré, de Charlottenburg à l’Ouest. Pour sa part, Mitte abrite surtout des chaînes de luxe et des auberges de jeunesse. Le Andechser Hof échappe à ces extrêmes avec ses prix convenables (compter 100 euros pour une double à l’arrière-cour) et ses chambres confortables. La cage d’escalier vétuste peut rebuter de prime abord, mais le lit moelleux et l’immense poster alpestre qui le surplombe invite à un repos fleuri et régénérant.

Andechser Hof, Acker Str. 155, Mitte.

Café

Mollement, on sirote le premier latte macchiato de la journée au Strandbad Mitte. Dans les transats alentours, touristes et Berlinois désœuvrés lorgnent d’un œil distrait, un peu assommé par le soleil qui gagne, les crampons d’une bande de footballeurs sur le terrain qui borde la terrasse. Il y’a décidément du Barcelone dans ce Berlin du farniente.

Douillet aussi en hiver, le Strandbad propose de nombreuses formules de frühstücks au poisson dans un décor en faïence vert marine. L’endroit idéal avant d’écumer les innombrables galeries de Schönenviertel.

Strandbad Mitte, Kleine Hamburger Str. 16, Mitte.

Schönenviertel

A ne pas manquer l’intéressante Bereznitsky Gallery qui défend un art engagé d’Europe de l’Est et le Contemporary Fine Arts spécialisé dans les grosses pointures allemandes comme Georg Baselitz, Juergen Teller et Albert Oehlen. La August Strasse héberge quant à elle, le Kunst-Werke (KW) un centre d’art indépendant qui organise la Biennale de Berlin et des expositions volontiers provocatrices.

Celle de 2005 sur la RAF avait soulevé un tollé dans l’opinion publique allemande, prompte à voir dans les œuvres présentées une glorification de la bande de terroristes. Outre des sculptures de Carsten Höller et de l’artiste minimal américain Dan Graham, la cour abrite le verdoyant Café Bravo. A voir cet été, les peintures rock’n’roll de l’Américain Joe Coleman.

Bereznitsky Gallery, Linien Str. 144 ; Contemporary Fine Arts, Sophien Str. 21, Mitte ; KW, August Str. 69, Mitte.

Gâteaux

On fait une halte au Barcomi pour déguster une Sachertorte ou un autre gâteau un peu pesant sur l’estomac, mais toujours irrésistible. On le digère avec un macchiato ou un Kiba (un mélange de jus de cerise et de jus de banane très en vogue en Allemagne). Dans la profondeur d’une cour de la Sophien Str., le Barcomi séduit par son calme et la beauté des bâtiments en briques qui l’entourent.

Barcomi, Sophien Str. 21, Mitte.

Art

Les plus courageux remontent sur leur bécane et traversent les quartiers historiques de Berlin : la Museuminsel, les théâtres et les opéras d’Unter den Linden, puis les grands magasins de la Friedrich Str., jusqu’à la Koch Str. à deux pas de Checkpoint Charlie.

Là, se logent quelques-unes des plus importantes galeries berlinoises comme Arndt & Partner qui expose en plusieurs pièces une grande installation du Suisse exilé Thomas Hirschhorn et des peaux de porcs tannées signées du Belge Wim Delvoye. Avant de remonter en selle, on jette encore un œil au coin de la rue, chez Caprice Horn et Klara Wallner, deux galeries installées dans le même immeuble.

Arndt & Partner, Zimmer Str. 90-91 ; Caprice Horn et Klara Wallner, Koch Str. 60, Mitte.

Turqueries

Avant de rejoindre le Ankerklause à l’heure de l’apéro pour écluser quelques Tannenzäpfle face au canal dans un décor à la Moby Dick, on ne résiste pas à faire un crochet par le marché turc. Pour les jus de fruits frais de Karina, mais aussi pour se souvenir que même si Kreuzberg se transforme rapidement en quartier bobo-branché, il reste la principale enclave stambouliote de Berlin.

Ankerklause, Kottbusser Damm 104, Kreuzberg ; Marché turc, Maybachufer, Kreuzberg.

Restaurant

On traverse à vélo l’hallucinant Görlitzer Park. S’y mêle toute la faune « multikulti » de Kreuzberg : punks, chiens, mamas turques voilées et poussettes à trois roues des nouveaux habitants du quartier autour d’un cratère qu’on dirait provoqué par un choc atomique.

Pour le dîner, on incline pour le restaurant Chez Gino, qui, comme son nom ne l’indique pas, propose une carte « schwäbisch » (souabe). On y mange donc du boudin, des spätzlis au lard ou des asperges. Jolie déco qui mélange les genres, entre folklore et papiers peints roses bonbon.

Chez Gino, Sorauer Str. 31, Kreuzberg.

Boire un verre

On pédale ensuite jusqu’aux confins de la Schlesisches Str., qui rappelle un village-rue de western peuplé de bars léchés ou plus trash au lieu de saloons.

Au-delà la station-service qui semble annoncer les limites de la ville, il subsiste encore trois alternatives pour se désaltérer en début ou en fin de soirée: le Heinz Minki, un biergarten idyllique, la cabane sur pilotis au-dessus du canal du Freischwimmer et, en face, le Club der Visionäre, ouvert sans interruption le week-end en été. On y écoute de l’électro minimale en chassant les essaims de moustiques.

Heinz Minki, Vor dem Schlesischen Tor 3, Kreuzberg ; Freischwimmer, Vor dem Schlesischen 2, Kreuzberg ; Club der Visionäre, Am Flutgraben 1, Kreuzberg.

Danser

Puissant, viscéral, décadent, le Berghain aimante de sa sombre aura toute la génération hédoniste 00 à la manière du Studio 54 et du Palace à leur époque. On n’entre jamais dans ce temple du son sur trois étages avant trois heures du matin. Les soirées s’y prolongent le dimanche jusque vers 17 heures, donc pas d’impatience.

Berghain et Panorama Bar, Am Wriezener Bahnhof, Friedrichshain.

Autres adresses:

Shopping

Dans le quartier en plein boom d’Hackescher Markt, les gros labels mondialisés inaugurent de nouvelles enseignes entre des second-hand de design et des boutiques conceptuelles. A l’image d’Apartment, où le rez-de-chaussée demeure immanquablement vide et blanc. Au fond, des escaliers mènent au sous-sol qui rassemble quelques designers rock et glam comme Raf Simons et Cheap Monday.

A l’angle, les mêmes propriétaires viennent d’ouvrir Cash, le coin des bonnes affaires. C’est plus classique chez Andreas Murkudis, frère du styliste Kostas Murkudis, et carrément barré chez les créatrices-architectes un tantinet dada de Bless.

Apartment/Cash, Memhard Str. 8, Mitte ; Andreas Murkudis, Münz Str. 21 (arrière-cour), Mitte; Bless Shop, Mulack Str. 38, Mitte.

Danse et théâtre

Les plus controversés des metteurs en scène de théâtre et de danse comme Christoph Marthaler, Christoph Schlingensief, Constanza Macras et la chorégraphe Sasha Waltz triomphent à Berlin alors qu’ils sont souvent boudés ailleurs. A la faveur d’un public friand d’expérimentation, adepte d’une programmation aussi moderne que déroutante au Hebbel am Ufer, à la Schaubühne et à la Volksbühne.

Avantage pour les non-germanophones: le texte prend peu de place dans ces productions.

HAU, Stresemann Str. 29, Kreuzberg ; Schaubühne am Lehniner Platz, Kurfürstendamm 153, Charlottenburg; Volksbühne, Linien Str. 227, Mitte.

Musées

La Neue Nationalgalerie, « le temple de lumière et de verre » de Mies Van der Rohe, présente jusqu’en novembre les chefs-d’œuvre français du XIXe siècle détenus par le Metropolitan Museum de New York.

Des clichés subversifs de Larry Clark, Ralph Gibson et Helmut Newton sont exposés, jusqu’en novembre également, à la Fondation Helmut Newton, tandis que le C/O Berlin présente les lauréats des bourses fédérales allemandes jusqu’à mi-juillet. Enfin, la Hamburger Bahnhof offre une rétrospective au peintre minimaliste américain Brice Marden.

Neue Nationalgalerie, Potsdamer Str. 50, Tiergarten ; Helmut Newton Stiftung, Jebens Str. 2, Charlottenburg; C/O Berlin im Postfuhramt, Oranienburger Str. 35, Mitte, Hamburger Bahnhof, Invaliden Str. 50-51, Tiergarten.

Architecture

Ne manquez pas le très impressionnant et zigzaguant Jüdisches Museum de Daniel Liebeskind, l’architecte allemand vainqueur du concours pour la construction de la Freedom Tower à New York. Loin à l’ouest, près du Stade Olympique, l’Unité d’habitation du Corbusier mérite également une visite. A l’instar des produits du réalisme socialiste de l’Est surnommés Plattenbauten.

Les plus beaux exemples de ces constructions occupent la Karl-Marx Allee à Friedrichshain. Le public peut aussi assister depuis la coupole de verre du Reichstag aux sessions du parlement. Son architecte, l’anglais Norman Foster souhaitait, par cette adjonction de transparence, octroyer au peuple un droit de surveillance sur la politique allemande.

Jüdisches Museum, Linden Str. 9-14, Kreuzberg ; Unité d’habitation, Flatow Allee 16, Westend; Reichstag, Platz der Republik 1, Tiergarten.

Hôtels

Classique et luxueux, le Regent Hotel est reconnu comme l’un des plus beaux palaces du monde par le Condé Nast Traveler. Prévu pour une clientèle d’affaires, l’Art’Otel est décorée par des toiles de Baselitz. Il offre des services excellents dans un cadre presque clinique au centre-ville. Pour un séjour plus audacieux, essayez le Propeller Island dont chaque chambre adopte la signalétique d’un lieu peu avenant : cellule de prison, chambre d’isolement capitonnée, cabine sadomasochiste… Tout un programme.

The Regent, Charlotten Str. 49, Mitte ; Art’Otel, Wall Str. 70-73, Mitte ; Propeller Island, Albrecht Achilles Str. 58, Charlottenburg.

Restaurants

Au Kuchi, on manie les baguettes dans une déco pop et sur un fond d’électro de bonne facture. Certainement le meilleur japonais de la ville pour ses sushis, mais aussi des plats inédits comme le poulet croustillant à la sauce chocolat-caramel. Plus réduite, la carte de l’Alpenstück ne compte que trois plats qui varient chaque semaine. Angelina Jolie et Brad Pitt adorent, paraît-il, cette cuisine allemande un brin ennuyeuse.

Par contre, le service impeccable et la carte des vins allemands sont à noter. Au bord du luxuriant canal, le HH Müller démontre à ses hôtes gastronomes toute la finesse de la cuisine allemande, schwäbisch plus précisément, dans le cadre postindustriel d’une ancienne station transformatrice. Nettement moins guindé, l’Il Casolare laisse les clients se débrouiller tous seuls avec la mozzarella et les tomates pour préparer leur salade. Les pizzas passent pour les meilleurs de la ville.

Kuchi, Gips Str. 3, Mitte ; Alpenstück, Schröder Str. 15, Mitte; HH Müller, Paul-Lincke-Ufer 20, Kreuzberg; Il Casolare, Grimm Str. 30, Kreuzberg.

Cafés et bars

De la country, de l’electro, des chinoiseries, des cheeseburgers, le tout dans un ancien pub irlandais, le White Trash mixe avec jubilation le fast-food et le mauvais goût pour un résultat assez grandiose qui attire jeunes branchés et people internationaux. Plus authentiquement berlinois, le Möbel Olfe fait converger le jeudi soir vers Kreuzberg les homosexuels à barbe amateurs de bière et de musique qui tachent. Dans un registre plus fleur bleue, on mange des gaufres aux cerises entouré par des enfants qui pépient et un kaléidoscope de couleurs pastels fifties au Kauf Dich Glücklich.

Ruine sublime imprégnée de solennité, le Clärchens Ballhaus possède une très belle salle de bal classée dans laquelle les fantômes de l’avant-guerre semblent encore valser. Sur la terrasse-jardin, les clients paraissent également pétrifiés dans une peinture d’Otto Dix, l’auteur de la pancarte de ce café unique en son genre.

White Trash Fast Food, Schönhauser Allee 6-7, Prenzlauerberg ; Möbel Olfe, Reichenberger Str. 177, Kreuzberg; Kauf Dich Glücklich, Oderberger Str. 44, Prenzlauerberg; Clärchens Ballhaus, August Str. 24, Mitte.

Dimanche

Institution berlinoise, le brunch ou frühstück dominical permet même aux couches-tard de se rassasier puisqu’il se prolonge généralement jusqu’à 17 heures. La Kollwitzplatz à Prenzlauerberg et la Simon-Dach Str. à Friedrichshain regroupent quantités de lieux qui pratiquent cette tradition.

Les lèves-tôt opteront pour une balade au marché aux puces, autre activité très prisée du dimanche, soit sur la bourgeoise Arkona Platz à Prenzlauerberg, soit dans une version plus alternative au Flohmarkt de la Boxhagener Platz à Friedrichshain.